Dans une économie classique et fonctionnelle, l’Etat n’a pas pour vocation de faire concurrence aux entreprises privées. Sa mission est d’assurer la délivrance de certaines prestations à la population, financées par les impôts, pour garantir un niveau de vie minimal et une cohésion sociale.
Il arrive toutefois que l’Etat, consciemment ou pas, concurrence l’économie privée en offrant, par exemple, des conditions salariales ou de travail qui attirent des travailleurs au détriment de l’économie privée. C’est le cas à Genève, où le salaire horaire le plus bas de la fonction publique (sans prise en compte des années d’expérience et donc sans annuité) est fixé à 26,10 francs, alors même que le salaire minimum genevois s’élevait au 1er janvier 2024 à 24,32 francs. Ainsi, sans annuité, le différentiel salarial atteint environ 7% et va s’accroître au fil des ans. Avec dix annuités et toujours dans la classe de fonction la plus basse, ce même fonctionnaire touchera un salaire horaire de 32,30 francs et bénéficiera de meilleures prestations sociales que ce soit en matière de prévoyance professionnelle, de congé maternité ou paternité et, bien entendu, d’une sécurité de l’emploi.
Les conséquences de ces écarts salariaux peuvent parfois avoir de lourdes conséquences et c’est notamment le cas dans le secteur de la petite enfance à Genève. Avec une offre de places en crèche ne couvrant que 38% de la demande (en 2022, il manquait 3200 places), des crèches privées pourraient être créées pour offrir de nouvelles solutions de garde aux parents. Cependant, les structures privées non subventionnées représentent étonnamment moins de 3% du taux d’offre.
Soit l’Etat est capable de garantir une place en crèche à chaque enfant du canton, soit il permet aux crèches privées d’exister sans leur imposer les mêmes obligations salariales que celles des structures subventionnées
Arnaud Bürgin
La principale raison est que, en matière de rémunération, la législation sur l’accueil préscolaire oblige toutes les crèches à respecter, soit l’une des deux conventions collectives de travail (CCT) applicables aux entités subventionnées, soit les salaires définis par les usages du secteur de la petite enfance. Or, ces salaires en usage reflètent ceux des CCT du secteur de la petite enfance qui sont, bien entendu, largement supérieurs au salaire minimum genevois.
Il convient néanmoins de rappeler que les conditions salariales offertes par les crèches du secteur public ne sont possibles que grâce aux subventions qu’elles reçoivent. En revanche, les crèches privées et les crèches d’entreprises ne bénéficient d’aucun soutien financier tout en étant tenues d’appliquer les mêmes conditions salariales que les crèches subventionnées.
Cette contrainte salariale, si elle n’est pas la conséquence unique de la pénurie de places en crèche dans le canton, explique une partie de la situation actuelle et la raison de l’absence quasi-totale de structures privées à Genève. Face à cette situation, soit l’Etat est capable de garantir une place en crèche à chaque enfant du canton, soit il permet aux crèches privées d’exister sans leur imposer les mêmes obligations salariales que celles des structures subventionnées. A l’heure actuelle, le manque de places en crèche est un facteur pénalisant en matière d’attractivité du canton de Genève, raison pour laquelle cette problématique doit être résolue rapidement.