Depuis les prémices du management à la fin du XIXe siècle, lors de la deuxième révolution industrielle, on cherche à améliorer le fonctionnement des organisations en repensant nos systèmes de pilotage opérationnels. Plus récemment, et notamment pour challenger les limites des organisations hiérarchiques traditionnelles, on recourt aux bienfaits d’une gestion holacratique ou libérée: fini la pyramide, adieu la verticalité, vive l’horizontalité! On évolue en cercles, dans l’objectif louable de rendre les acteurs autonomes et responsables ainsi que de replacer la décision au plus près du terrain.
Petite nuance, dans les systèmes holacratiques, les décisions sont prises par rôles ou par cercles en fonction des responsabilités définies, alors qu’au sein de l’entreprise libérée, les acteurs ont une totale marge de manœuvre pour agir dans l’intérêt de l’organisation. Dans les deux cas, c’est la mort du chef et la naissance du facilitateur, du gardien de rôle ou du mentor…
Mais tout comme l’organisation traditionnelle, l’horizontalité a également ses biais. Par exemple, en l’absence de hiérarchie clairement définie, les rôles et les responsabilités sont souvent flous ou ambigus, ce qui peut entraîner des conflits ou un manque de responsabilisations, sans oublier le fait que plus l’organisation est grande, plus les problèmes de coordination sont importants et plus les décisions sont difficiles à prendre, recherche de consensus oblige.
Ces organisations permettent aussi l’émergence de leaders de facto, des figures d’autorité informelles génératrices de tensions ou de dynamiques de pouvoir non transparentes. De plus, nous ne sommes pas tous à l’aise avec un niveau élevé d’autonomie ou de responsabilité.
Enfin, en l’absence de chaîne de commandement, la résolution des inévitables conflits peut être compliquée. Plus concrètement, un acteur qui dysfonctionne, c’est le problème de qui?
Victimes d’effets de mode ou d’un idéalisme naïf, de nombreuses organisations se sont retrouvées en difficulté en voulant passer d’une organisation traditionnelle à une structure horizontale, tant le changement de paradigme est significatif et la culture d’entreprise à reconstruire. Bien entendu, dans les petites organisations orientées vers la flexibilité, la créativité et la collaboration, de type start-up, cette approche managériale peut être particulièrement pertinente. En revanche, dans les entreprises de taille plus importante ou dans des environnements très réglementés, comme la santé ou la finance, ce modèle organisationnel est vraisemblablement un leurre.
Dans la grande majorité des entreprises, ce n’est pas le modèle d’organisation qui est en cause, mais le manager lui-même
Steeves Emmenegger
Pour ma part, je suis convaincu que dans la grande majorité des entreprises, ce n’est pas le modèle d’organisation qui est en cause, mais le manager lui-même. Une hiérarchie bien pensée, bien comprise et bien assumée n’est pas une maladie; l’autonomie et la responsabilisation ne sont certainement pas l’apanage de l’horizontalité. Un leadership de rôle et non pas de statut, privilégiant le lien sincère, dans un cadre d’exigence afin d’atteindre d’ambitieux objectifs, stimulant la prise d’initiative, une réelle délégation et une nécessaire reconnaissance, est de nature à permettre à chacun de se réaliser dans un environnement respectueux et stimulant.
Bien entendu, cela passe par une évolution de la posture managériale, une capacité à apprendre à désapprendre et à privilégier le «pourquoi» avant le «comment», afin d’adopter l’attitude appropriée. Finalement, dans la majorité des cas, l’horizontalité n’est qu’un mauvais remède pour répondre à une verticalité défaillante.