Nestlé Waters a récemment été épinglé par le chimiste cantonal vaudois pour avoir recouru à des traitements «interdits» d’ultraviolets et de filtres au charbon actif sur certaines de ses eaux minérales. Une eau minérale a une origine souterraine, protégée de toute pollution, et diffère de l’eau de source parce que le transit dans le sol est plus long et s’effectue dans les failles d’un terrain pierreux. Mais cela ne signifie pas qu’elle soit toujours potable au sens des règlements qui gouvernent l’eau de distribution.
Il peut devenir nécessaire de lui faire subir ces traitements, qui assurent le caractère potable de celle-ci. L’eau minérale n’y perd rien, sinon sa réputation d’eau naturelle, qui est un mythe. La vente d’eau en bouteille est une véritable énigme, si on la considère d’un point de vue technique et économique. Pourquoi mettre de l’eau en bouteille et la transporter en camion et en voiture, alors qu’elle coule toute seule dans les conduites de la ville? Comment peut-on vendre, parfois très cher, de l’eau en bouteille alors que cette onde coule du robinet chez nous pour un prix dérisoire? Pourquoi faire compliqué alors que c’est si simple?
L’eau étant incolore, inodore et sans saveur, la publicité peut façonner son âme et c’est là où la magie publicitaire agit le mieux, dixit le célèbre publicitaire français Jacques Séguéla
Jacques Neirynck
Exemple délirant. Depuis Nîmes, les petites bouteilles vertes de Perrier voyagent jusque dans des bistrots texans ou antillais: le chic suprême consiste à boire cette eau pétillante, de goût nul, en lieu et place du whisky ou du rhum, voire du Coca. Les buveurs de Perrier pourraient tout aussi bien boire de l’eau de la distribution publique locale, éventuellement enrichie de bulles. Au goût, la boisson serait indiscernable de celle transportée sur des milliers de kilomètres en bouteille, alors que le rapport des prix (et de la consommation d’énergie) est de un à mille et qu’il a fallu détruire deux millions de bouteilles polluées par des bactéries fécales.
Y aurait-il tout de même une différence de goût? L’émission A bon entendeur de la RTS a filmé des consommateurs essayant de découvrir parmi huit verres contenant de l’eau plate laquelle provenait du robinet comparée à sept eaux en bouteille. Personne n’y est parvenu.
Comment créer une différence au point de créer un marché? Le plus célèbre des spots publicitaires en 1999 fut conçu par l’agence Euro RSCG BETC sur l’eau d’Evian. En filmant des bébés nageurs, en utilisant les ressources de l’imagerie électronique pour démultiplier cette image et créer un véritable ballet, le spot prône l’eau d’Evian, tout aussi insipide que les eaux plates. La publicité a été accueillie avec un taux de reconnaissance de 91%, ainsi que 94% d’agrément. Pourquoi? Parce qu’elle instrumentalise la jeunesse éclatante des bébés pour l’associer à la consommation d’Evian. Or, même si l’on boit des hectolitres de celle-ci, on ne rajeunit pas et on n’arrête même pas le vieillissement.
L’eau en bouteille est le symbole d’une société folle où les malins exploitent les sots. «L’eau étant incolore, inodore et sans saveur, la publicité peut façonner son âme et c’est là où la magie publicitaire agit le mieux», dixit le célèbre publicitaire français Jacques Séguéla. Et d’ajouter que «comme toutes ces bouteilles sont les mêmes, l’imaginaire va les charger d’une valeur distincte».