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Disgrâce de La Poste

Le géant jaune paie le prix de son manque d’anticipation en matière de numérisation et va devoir se recentrer sur la livraison de colis pour ne pas sombrer. Par Jacques Neirynck

Le volume de courrier et des versements au guichet a fortement diminué au cours des dix dernières années, une tendance appelée à se poursuivre.
KEYSTONE
Le volume de courrier et des versements au guichet a fortement diminué au cours des dix dernières années, une tendance appelée à se poursuivre.
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
24 juin 2024, 15h00
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Si l’on compare les performances du courrier par la poste traditionnelle et internet, il n’y a pas à hésiter. Une lettre papier coûte une enveloppe timbrée, est lente et parfois s’égare. Un courriel ne coûte (apparemment) rien, est transmis instantanément et alerte sur sa non-distribution.

C’est l’application d’un principe universel: pour transmettre une information, mieux vaut un bit qu’un atome. L’invention de la poste remonte au XVIIIe siècle, alors que le télégraphe n’existait pas. Tant que la main-d’œuvre était à bas prix, cela avait un sens de transporter l’information dans des enveloppes affranchies.

L’évolution inéluctable des salaires entraîne le renchérissement du courrier et la fermeture des bureaux de poste. Ce fut aussi la concurrence entre la diligence et le chemin de fer, le cheval et la voiture, la marine à voile et la vapeur. A terme, l’issue est inévitable.

Dès lors, le volume de courrier a diminué d’un tiers au cours des dix dernières années. Celui des versements en espèces au guichet s’est effondré de près de deux tiers. D’ici à 2030, le nombre de lettres envoyées devrait reculer d’environ 34 à 39%, soit 115 lettres par personne et par année, contre 220 en 2021. Quant aux versements en espèces, ils pourraient même chuter de 80%.

Le métier résiduel et pérenne de La Poste ne peut être que le transport et la livraison des colis, parce que ce sont des atomes intraduisibles en bits. Si elle ne s’y implique pas sérieusement, elle sera débordée par des prestataires privés.

L’évolution inéluctable des salaires entraîne le renchérissement du courrier et la fermeture des bureaux de poste

Jacques Neirynck

Toute cette évolution était prévisible dès les années 1990, quand internet a fait son apparition et s’est propagé. Après plus d’un quart de siècle, force est de constater que le prévisible fut imprévu, que les pouvoirs publics sont demeurés indifférents à cette problématique. Quand La Poste disparaîtra comme le firent les diligences, que deviendront les personnes défavorisées, incapables d’accéder au numérique? Il y aura une classe d’illettrés numériques.

Qu’aurait-on pu prévoir? La numérisation ne touche pas que le courrier, elle affecte aussi la vente par correspondance, les réservations de places dans les avions, les trains ou les spectacles, les transactions financières. On aurait pu, on aurait dû, assurer l’égalité face à cette mutation sociale en remplaçant La Poste courrier par un appareil standard, simple, gratuit fourni à tous les ménages, le substitut de la boîte aux lettres. C’était accompagner et même devancer une révolution technique de même ampleur que celle provoquée par Gutenberg, dont on se rappellera qu’elle débuta par l’impression de la Bible, qui entraîna irrésistiblement la Réforme et donc pas mal de conflits.

Notre espèce n’est pas seulement soumise à l’évolution biologique, lente par nature, mais aussi à l’évolution technique, subite et puissante, qui change instantanément – à l’échelle des siècles – ce que nous sommes. Nous disposons aussi de plus en plus de la capacité de prévoir et de réagir en fonction d’un objectif d’égalité et de solidarité. Il est encore temps de le faire et de remédier à l’agonie de La Poste par l’équivalent de soins palliatifs numériques.