Cet été, L’Agefi publie en exclusivité six extraits du livre d’Olivier Ferrari et Tim Genecand, «La responsabilité sociale des Etats dans les accords bilatéraux»*
En 2023, le libre-échange est une artère majeure de l’économie mondiale. L’interdépendance s’est renforcée, les chaînes d’approvisionnement se sont globalisées et la digitalisation a rendu le commerce plus accessible que jamais. Sous l’impulsion des réseaux sociaux qui facilitent la promotion et l’influence du e-commerce, le libre-échange connaît une forte pression. Son moteur qui est le transport n’a jamais été autant sollicité qu’auparavant. Amazon étant l’une des plus grandes plateformes internationales de commerce électronique, son rapport annuel a révélé que ses opérations ont généré des émissions équivalentes à 71,54 millions de tonnes métriques de dioxyde de carbone en 2021. Cela représente une augmentation de 18% par rapport à 2020 et une hausse d’environ 40% depuis 2019, année où Amazon a commencé à divulguer son empreinte carbone. L’iPhone, l’un des produits technologiques les plus convoités au monde, n’est pas seulement remarquable pour ses ventes massives à travers les six continents, mais aussi pour la complexité de sa chaîne d’approvisionnement. Cet appareil provenant de la marque emblématique Apple a une fabrication issue d’un effort global. En effet, pas moins de 36 pays jouent un rôle dans la production ou l’assemblage. Une interrogation fondamentale se pose: quand le libre-échange a-t-il véritablement commencé et comment en sommes-nous arrivés au statu quo globalisé d’aujourd’hui?
[…] Le libre-échange a pris forme au XVIe siècle avec les nations européennes adoptant une politique mercantiliste. Leur objectif était l’accumulation de métaux précieux tels que l’or et l’argent. La gestion de ces ressources passait par une régulation du commerce extérieur afin d’obtenir une balance commerciale positive. Il y a ensuite eu l’émergence concrète du concept au XVIIIe et XIXe siècles, portée par les travaux d’Adam Smith et David Ricardo. Ainsi la première mise en œuvre du libre-échange prend forme par un accord bilatéral entre la France et le Royaume-Uni, nommé Traité de Cobden-Chevalier (1860). La diplomatie bilatérale constitue justement le socle fondamental des relations internationales entre Etats. Le fonctionnement est simple: il s’agit d’un échange de bons procédés entre les pays impliqués, visant un gain mutuel, principalement économique à sa genèse.
Après ce premier accord commercial, la tendance a eu du mal à s’établir. Au début du XXe siècle, après la Première Guerre mondiale, le protectionnisme prédominait encore, en partie à cause du manque de confiance à l’échelle mondiale. A la suite de cette approche, la Grande Dépression s’est déclenchée au début des années 1930, constituée d’une crise financière spéculative mais également une surproduction agricole et industrielle. Cette situation aurait pu être atténuée si une politique internationale favorisant les exportations à l’étranger avait été mise en place. C’est durant le contexte de l’après Seconde Guerre mondiale que certains dirigeants et influents mondiaux ont cherché à mettre en place un système qui pourrait prévenir les erreurs du passé. Il y a notamment l’économiste britannique John Maynard Keynes qui a défendu un système monétaire international d’après-guerre. Lors de la conférence de Bretton Woods en 1944, il a ardemment soutenu une coopération économique à l’échelle mondiale.
La vision de Keynes promeut une structure financière mondiale solide, visant à prévenir les crises financières et à assurer une stabilité. Cette volonté de coopération favorise une cohérence du système financier, stimulant les échanges internationaux et garantissant une meilleure fluidité des transactions. Cordell Hull, secrétaire d’Etat sous l’administration Roosevelt, était aussi un fervent défenseur des principes du libre-échange. Il incarnait l’idéal de l’internationalisme libéral qui vise à harmoniser la liberté économique avec les principes démocratiques tout en respectant la souveraineté nationale. Il était convaincu que favoriser le commerce international pourrait atténuer les tensions internationales et servir de mécanisme préventif contre les conflits potentiels. Hull a considéré les barrières tarifaires et les restrictions commerciales non seulement comme des obstacles économiques, mais aussi comme des sources de discorde entre les nations.
*«Responsabilité Sociale des Etats dans les accords bilatéraux, à l’épreuve de la transition durable», Olivier Ferrari et Tim Genecand, éditions Pillet, 2024, 290 pages, CHF 32.-