Une récente étude (stressnetwork.ch) nous apprend que près d’un tiers (30,3%) des personnes actives en Suisse se sentent épuisées émotionnellement et que le coût induit par ce mal-être serait, selon l’Axa, de l’ordre de 17,6 milliards de francs par an (2024). C’est le prix de l’absentéisme généré et de la perte de productivité des individus qui en souffrent.
L’épuisement professionnel est la principale cause de «burn-out», le malaise le plus répandu. Nombreux sont celles et ceux qui peuvent témoigner aujourd’hui de l’impact d’une telle expérience et de ses fâcheuses conséquences sur leur vie privée et professionnelle. D’autres types de mal-être au travail sont encore recensés, comme le «bore-out», syndrome lié à l’ennui et au manque de stimulation dans le travail, ou encore le «brown-out», généré par ce que certains appellent les «bullshit jobs», soit des emplois sans sens, composés de tâches perçues comme absurdes ou inutiles…
Ce n’est pas le bonheur qui va nous rendre plus performants, mais la capacité à agir et à réaliser ses objectifs dans de bonnes conditions
Steeves Emmenegger
Parallèlement à ce triste et onéreux constat, jamais nous n’avons autant parlé de qualité de vie au travail (QVT), des mesures censées améliorer le bien-être des collaboratrices et collaborateurs: horaires flexibles, télétravail, baby-foot dans «le lab», salles de sport ou massages assis, instaurés avec enthousiasme et conviction par des «Chief Happiness Officers», ces responsables du bonheur en entreprise débordants de bienveillance, ou de pseudo-experts de la marque employeur. Etrange paradoxe!
Rendons à Cléopâtre ce qui lui appartient: dans son dernier ouvrage La vertu dangereuse, la philosophe Julia de Funès évoque la notion de paralogisme, une inversion entre la cause et la conséquence. On est bien parce qu’on a réussi quelque chose, gagné un concours, bouclé un projet, obtenu un diplôme. Ce n’est donc pas le bonheur qui va nous rendre plus performants, mais la capacité à agir et à réaliser ses objectifs dans de bonnes conditions.
Le bien-être au travail ne peut donc être que le résultat d’un épanouissement professionnel. Et c’est sur ce levier qu’il est nécessaire d’agir en premier, sinon c’est l’emplâtre sur la jambe de bois. Bien entendu, une amélioration des conditions de travail est une bonne chose, mais c’est de loin insuffisant pour créer une dynamique positive.
Avant d’investir dans une table de ping-pong ou des cours de yoga, il nous paraîtrait plus judicieux de travailler sur des facteurs organisationnels dans l’objectif de générer une saine stimulation, une envie… «le désir étant la seule force motrice», selon Spinoza. Appliquer de sèches procédures ne peut que générer du désintérêt, de l’apathie; le principal facteur de motivation des gens étant l’appropriation de la tâche.
Comment valoriser une réalisation si elle n’a pas été le fruit d’un engagement particulier? La reconnaissance est pourtant un levier majeur de l’épanouissement. Offrir plus d’autonomie et de marge de manœuvre aux acteurs, faire appel à leur bon sens, à leur capacité de réflexion, les considérer comme des professionnels compétents et leur donner du feed-back, nous semblent être plutôt la voie à suivre pour «casser les burn»!