Rien ne va plus. Les entreprises de la data licencient. La semaine dernière, 11.000 chez Meta (Facebook + Instagram + WhatsApp). Il y a deux semaines, Twitter congédiait environ la moitié de ses 7500 salariés, dans la foulée du rachat de l’entreprise par Elon Musk. Stripe et Lyft, avant eux, avaient fait part de licenciements de grande ampleur il y a quelques temps déjà.
En fait, c’est près de 45.000 travailleurs de la «data class» qui ont été licenciés aux Etats-Unis depuis le début de l’année. Les plateformes dont le modèle économique est notamment fondé sur la publicité pâtissent davantage. Les coupes budgétaires des annonceurs mais aussi l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt plombent le monde de ces spécialistes de la donnée, sans parler des malheurs de l’écosystème de la crypto avec la chute de la plateforme FTX. A la Bourse, 2022 est déjà une année noire pour les actions des Gafa. Le capital fond et les travailleurs s’en vont.
Un exemple: le titre du groupe californien Meta a chuté de 240 dollars depuis le début de l’année, des centaines de milliards de dollars de capitalisation boursière ont pris l’air. La société inquiète les marchés, surtout après avoir annoncé pour la première fois avoir perdu des utilisateurs sur son réseau social d’origine, Facebook.
Que se passe-t-il?
Le capitalisme de la data est en crise. La vive croissance observée pendant la pandémie a fait place à un recul brutal de celle-ci. Inflation et insécurité rendent les consommateurs prudents. Ils lèvent le pied sur leur achat en ligne. Tout le château de carte tremble sur ses bases. Va-t-il s’écrouler comme pendant la bulle internet du début des années 2000? Personne ne le sait.
En tout cas, il est temps de jeter un regard neuf sur la situation et comprendre les enjeux.
Un livre* essaye de nous guider dans ce sens. Il explore les fondements de cette nouvelle classe et des rapports de force qui s’en dégagent. Écrit par Georges Kotrotsios du CSEM, cet essai donne une description fine de ces deux nouveaux acteurs qui émergent: le data capitalisme et la data classe. Plus encore, l’auteur esquisse l’enchevêtrement compliqué de ces classes avec celles d’avant, tout en montrant leurs interdépendances. En effet, un capitaliste de la data comme Elon Musk reste un capitaliste traditionnel donc agit comme tel (création et prise de contrôle d’entreprises, licenciements, etc.) mais en même temps tweete par avance ces décisions. La data n’est pas au service du capital, elle veut se substituer à lui, semble être le message.
Comment?
Il suffit d’observer les américains des GAFA ou les chinois des BATX pour saisir à quel point ces entreprises diffèrent de nos sociétés industrielles telles que Roche, Swatch ou Nestlé. En bref, bien qu’elles vendent aussi des biens et des services comme les anciennes, les «data entreprises» se caractérisent par une instrumentalisation des plateformes internet en récoltant de la donnée personnelle pour accroître leur emprise. L’économie a changé le système entrepreneurial. On peut notamment parler de sur-traitance plutôt que de sous-traitance pour désigner les relations commerciales de ces écosystèmes.
C’est historique. Sous nos yeux se déroulent une transition houleuse mais qui va finir par déployer tous ces effets jusqu’à l’ordre politique.
*«Social Classes and Political Order in the Age of Data», éditions Cambridge Scholars, Octobre 2022, 180 pages, 64,99 livres sterling.