Bar, discothèques, restaurants, zoos… Il est maintenant plus simple pour les entreprises du pays de bénéficier du statut de cas de rigueur et donc d’aide à fond perdu. Le Conseil fédéral l’a annoncé mercredi. Cette mesure élargit non seulement le volume d’aide à verser mais aussi le cercle des sociétés qui peuvent y prétendre.
Pour autant, la Confédération n’a pas délié les cordons de sa bourse. Le budget pour compenser les cas de rigueur reste le même: une enveloppe de 2,5 milliards composée de 1,75 milliard des trois premières tranches d'aides et de 750 millions de la «réserve du Conseil fédéral». Fixé déjà en décembre, ce montant sera-t-il suffisant pour couvrir la masse des demandes de soutien des établissements obligés de tirer leur volet? «Probablement pas», a averti le chef du Département fédéral des finances Ueli Maurer. En effet, selon un premier calcul approximatif, plus de 7 milliards feraient défaut.
Secteur par secteur
Désormais, toutes les structures fermées sur ordre des autorités pendant au moins 40 jours civils depuis le 1er novembre peuvent prétendre à une aide allant jusqu'à 20% de leur chiffre d'affaires annuel (contre 10% auparavant) et s’élevant au maximum à 750.000 francs par société (contre 500.000 francs auparavant). Jusqu’ici, chaque société devait prouver un recul d’au moins 40% de ses résultats. Ce n’est plus le cas.
Les entreprises concernées sont, tout d’abord, les restaurants. Selon GastroSuisse, la branche a enregistré un chiffre d’affaires de 23,96 milliards de francs en 2019. Et ce, uniquement pour la consommation intérieure, soit une estimation basse car elle exclut les dîners réglés par les touristes.
Du côté de la musique, l’Association suisse des organisateurs de concerts, spectacles et festivals de musique (SMPA) note que le chiffre d’affaires de la branche s’est élevé à 382 millions de francs en 2018. Un chiffre auquel s’ajoute les 102,5 millions engendrés par les membres de l’autre faîtière du secteur, la Fédération suisse des clubs et des festivals de musiques actuelles (PETZI), calculé ici pour 2017.
Viennent ensuite les loisirs. Dans les salles obscures, le box-office a «presque atteint 200 millions de francs en 2019», indique la faîtière des exploitants ProCinema. Un résultat qui ne comprend pas les recettes des popcorns, sodas et autres friandises. Les zoos et aquariums du pays ont pour leur part réalisé 116,5 millions de chiffre d'affaires, la même année. Toujours en 2019, les produits bruts des jeux des casinos du pays ont totalisé 742 millions de francs. Sans compter, dans ce calcul, le chiffre d’affaires du secteur des établissements thermaux, indisponible, ainsi que celui d’une partie des remontées mécaniques. Environ un quart d’entre elles n’ont pas pu rouvrir leurs installations, selon la faitière.
Puis il y a les commerce «non essentiels» qui fermeront – une nouvelle fois – leurs portes dès lundi: boutiques de vêtements, magasins de meubles ou parfumeries, par exemple. La fédération Swiss Retail ne dispose pas de données sur ce segment spécifique du commerce de détail, mais précise que la branche «non food» a engendré 23 milliards de francs en 2019. Une estimation haute puisqu’il faut y soustraire les résultats des quincailleries, blanchisseries ou pharmacies qui peuvent poursuivre leurs activités.
Ensemble, les établissements fermés qui pourraient prétendre aux aides à fonds perdu affichent grosso modo un chiffre d’affaires annuel de 48,5 milliards de francs. La part maximale que l’Etat s’engagerait à couvrir, soit 20%, représenterait donc 9,7 milliards de francs. Plus de 7 milliards ferait alors défaut, selon ce calcul hypothétique.
Les économistes restent confiants
Si cette première estimation est à prendre avec des pincettes, elle a cependant le mérite de confirmer que le montant initialement avancé ne suffira pas. «Ce n’est pas une surprise. Ueli Maurer lui-même, plutôt conservateur quant aux dépenses, l’a annoncé d’entrée de jeu», commente Marius Brülhart, membre du groupe d’experts en économie de la Task Force de la Confédération. Ce professeur à la faculté HEC de l’Université de Lausanne (Unil) n’est cependant pas inquiet: «La rhétorique politique de prudence quant à l’augmentation de la dette publique n’est pas toujours en phase avec la réalité. Le long de la crise, les moyens ont été débloqués, notamment pour les indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail (RHT). Si les besoins augmentent, les budgets suivront». Un point qu’a confirmé le président de la Confédération Guy Parmelin dans L’Agefi de ce vendredi.
Jan-Egbert Sturm qui dirige le KOF, le centre de recherches conjoncturelles zurichois, regrette que le Conseil fédéral ne se soit pas explicitement exprimé à ce sujet afin de faire peser «moins d’incertitude» sur les sociétés. Celui qui préside le groupe d’économistes de la Task Force souligne: «Les règles sont devenues plus claires mais pas pour autant transparentes. Et, en fonction des cantons, les versements risquent d’arriver plus ou moins tard».
Inspiration thurgovienne
Ce ne sont donc pas les montants des soutiens mais leur distribution qui préoccupe Marius Brülhart et Jan-Egbert Sturm. Ce dernier voit la distribution soumise à une «complexité non nécessaire» d’un point de vue économique. «La Confédération a refilé ce casse-tête aux cantons qui doivent maintenant assurer une distribution ciblée, efficace, juste et transparente», ajoute Marius Brülhart, peu étonné que les cantons peinent à trouver la bonne formule. Tous sauf peut-être la Thurgovie. Ce canton bordant le lac de Constance a instauré un système proche de celui prôné par la Task Force. «Des prêts sans trop d’obstacles bureaucratiques suivis, dans un second temps, d’éventuelles demandes de réduction de dettes», décrit-il.
Pour sa part, la solution portée en étendard par la Task Force depuis des semaines combinerait versement rapide et évaluation soigneuse des cas. Elle repose sur un modèle de prêts Covid évolutifs. Ainsi, toutes entreprises peuvent recevoir des liquidités rapidement. Et, après la crise, une fois que les tenants et aboutissants sont connus, les gouvernements analyseraient sereinement quelles dettes gommer.
Face aux décisions de cette semaine, le professeur de l’Unil semble confiant: «Nous ne sommes pas là pour donner des notes au Conseil fédéral, mais il est évident que son dernier paquet de décisions était plus en phase avec les recommandations de la Task Force qu’à d’autres occasions». Son confrère de l’Ecole polytechnique de Zurich (EPFZ) confie d’ailleurs que la tâche de voir comment réactiver les prêts Covid leur a été confiée: «Cette solution, dont l’avantage est la rapidité, n’est pas hors jeu»