Plus d’un million d’indépendants et d’entrepreneurs sont «au bord du gouffre», selon les associations professionnelles du secteur. Réunies sous la bannière du collectif Indépendants et entrepreneurs Suisse, elles ont interpellé le Conseil fédéral mardi pour réclamer, entre autres, l’abaissement du seuil pour les cas de rigueur ainsi que la réactivation des prêt Covid-19 en 2021.
Mercredi, le Conseil fédéral s’exprimera à nouveau et de nombreux entrepreneurs espèrent voir le gouvernement s’affirmer davantage dans le soutien qu’il accorde aux PME. Même si la comparaison est tentante, les économistes de la Task Force de la Confédération ne conseillent pas au ministre de l’économie Guy Parmelin de s’inspirer des pays voisins pour définir une politique de soutien plus efficace. «Le meilleur exemple pour la Suisse, c’est la Suisse», avance Jan-Egbert Sturm qui préside ce groupe d’experts.
Durant la première vague, le pays était vu comme un modèle en termes d’aide aux entreprises. «Le gouvernement a rapidement réagi en élargissant les indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail (RHT), en créant des allocations perte de gain (APG) pour les indépendants et surtout en mettant en place le programme des crédits Covid. Grâce à ces prêts, les PME ont instantanément eu accès à des liquidités, sans bureaucratie», évoque Jan-Egbert Sturm, également directeur du KOF, le centre de recherche macroéconomique de l’Ecole polytechnique de Zurich (EPFZ). «Rappelez-vous: nous avons été confinés le 16 mars. Quatre jours plus tard arrivaient les premières aides», ajoute Rafael Lalive, professeur d'économie politique à l’Université de Lausanne (Unil) et membre de la Task Force.
Des prêts qui pourraient évoluer
«Pourquoi ne pas donner une seconde chance aux prêts Covid? Pragmatiques, ils n’ont rien à voir avec des prêts bancaires car leur remboursement est très souple», intervient Jan-Egbert Sturm. Depuis novembre, les experts de la Task Force réclament le retour de cette solution garantie par la Confédération et disponible pour toutes sociétés. «Nous devons la réactiver car non seulement elle s’est avérée efficace mais elle présente l’avantage d’une mise en œuvre rapide», décrit Rafael Lalive.
Mais ce n’est pas tout. Les économistes proposent, dans un deuxième temps, qu’une part de ces prêts soient convertie en aide à fonds perdu «à un taux défini une fois la crise terminée», poursuit le vice-doyen de la faculté des HEC. «Les entreprises se fichent pas mal de savoir qu’elles seront peut-être aidées un jour. Elles ont besoin d’aide tout de suite», ajoute Jan-Egbert Sturm qui imagine que les critères pourront être définis «après l’été, lorsque la situation se sera normalisée». Les deux économistes pressent le Conseil fédéral d’agir au plus vite. Alors que le bout du tunnel est enfin visible, «il faut permettre aux entreprises de survivre jusqu’à la réouverture de l’économie.»
Les entreprises se fichent pas mal de savoir qu’elles seront peut-être aidées un jour. Elles ont besoin d’aide tout de suite
Jan-Egbert Sturm
Englué dans les cas de rigueur
Attention cependant à ne pas oublier l’expérience de cet été, où la Suisse s’est trop vite crue sortie d’affaire. Alors que les crédits Covid se tarissaient, l’Etat a instauré le système des cas de rigueur: une aide cantonale à fonds perdus accordée selon des critères précis. «L’idée n’était pas mauvaise. Malheureusement la deuxième vague a frappé à la porte», commente Jan-Egbert Sturm
D’abord si vif, le pays s’est alors englué dans la complexité de ces cas de rigueur, «un type de soutien qui mobilise beaucoup de ressources pour définir qui y a droit», note Rafael Lalive. Les différences intercantonales ont grandi et les entreprises se sont retrouvées dans le flou. «Le manque de clarté de leur éligibilité ajoute de l’incertitude à la situation déjà problématique des PME», renchérit le directeur du KOF.

L’exemple allemand en question
Aujourd’hui, de plus en plus de PME réclament une politique similaire à celle de l’Allemagne. Le gouvernement y octroie des aides à fonds perdus qui couvrent les coûts fixes des entreprises, en fonction de la taille et des revenus de celles-ci. «Nous ne sommes pas certains que cette solution soit réaliste dans un contexte suisse», commente le directeur du KOF. Selon lui, la voie prônée par la Task Force est plus prudente mais aussi plus facile à instaurer.
Ce week-end, un article de la SonntagsZeitung, a pointé du doigt la «pingrerie» de la Suisse face à son voisin et principal partenaire économique. En effet, selon des chiffres du Fonds monétaires international (FMI), la Confédération a consacré l’équivalent de 4,8% de son PIB à l’aide d’urgence liée au Covid-19, alors que l’Allemagne a dépensé 8,3% de son PIB. Pour Rafael Lalive, ces chiffres sont à nuancer: «D’abord, ils datent d’octobre dernier et ne concernent que les sommes déclarées par les différents Etats eux-mêmes. De plus, ils ne reprennent qu’une partie du panorama complet des aides dressé par le FMI.»
En effet, l’organisation découpe les soutiens étatiques en deux parties. D’une part, les dépenses above the line – reprises dans la presse – correspondent aux montants supplémentaires destinés à l’aide sociale, notamment les RHT et APG. A celles-ci s’ajoutent les dépenses below the line: les mesures exceptionnelles comme les injections de capitaux propres et prêts. Dans ce contexte, la Suisse a dépensé 6,4% de son PIB et l’Allemagne 30,8%. «Bien entendu, même avec ces chiffres plus complets, le constat reste le même: la Suisse a moins dépensé en proportion de son PIB», poursuit le chercheur. Mark Horton, chef de la mission du FMI pour la Suisse, met pour sa part en garde contre une analyse simpliste de ces chiffres. «La réponse y a été exceptionnelle et opportune», souligne-t-il. Et d’ajouter que si le soutien budgétaire a été plus important dans d'autres pays, cela reflète «un certain nombre de facteurs» comme des conséquences sanitaires plus importantes, un chômage plus élevé ou encore une plus grande dépendance à des secteurs comme le tourisme ou le transport.