Propos recueillis avec Frédéric Lelièvre
Fermetures prolongées des restaurants et de nombreux magasins, limitation des rassemblements à cinq personnes, télétravail obligatoire... Mercredi, le Conseil fédéral a pris une série de restrictions sanitaires pour contrer la pandémie de coronavirus. Dans le même temps, il a annoncé plusieurs mesures pour soutenir les entreprises empêchées de faire tourner leurs affaires. Des voix s’élèvent pour demander plus de moyens. Explications avec Guy Parmelin, président de la Confédération et conseiller fédéral en charge de l’Economie.
LA SITUATION SANITAIRE
Le nombre de cas positifs au Covid-19 baisse, les hôpitaux disposent de capacités et il n’y a aucun chiffre sur les lieux de contamination. Qui dit que les restaurants et les commerces le sont? Personne. Alors pourquoi prolonger les fermetures?
Nous sommes aujourd’hui confrontés à la problématique de la souche mutante du virus. Nous avons cinq à six semaines d’avance sur la situation du Royaume-Uni mais la possibilité que le nombre de personnes infectées double chaque semaine est bien là.
Dans ces conditions, les défis pour le Conseil fédéral sont nombreux. Quel type de mesures faut-il alors prendre pour que la vaccination puisse se dérouler dans de bonnes conditions et pour éviter de nouvelles surcharges du système hospitalier? Enfin, comment minimiser les conséquences économiques des restrictions ciblées de mobilité?
En outre, il est difficile d’expliquer qu’on prenne des mesures plus dures alors que le nombre de cas baisse, même s’il reste à un niveau élevé.
Si nous prenons ces mesures, c’est dans l’espoir qu’elles produiront leurs effets pour nous permettre de vacciner dans des bonnes conditions et de pouvoir ainsi lever au plus vite les restrictions. Nous voulons éviter de devoir fermer plus tard en catastrophe, avec des coûts beaucoup plus élevés en matière économique et sanitaire.
Pour autant, on ne sait pas très bien où nous attrapons ce virus. Les contaminations dans les restaurants ou les commerces ne sont pas démontrées...
Je ne me prononcerai pas sur ce point. Nous savons que le virus se transmet plus facilement au sein de la sphère privée et dans des cas de contacts fréquents. Ce nouveau variant est encore peu présent en Suisse. Mais s’il double toutes les semaines, la situation risque de se détériorer extrêmement rapidement, comme en Irlande et en Grande-Bretagne, où les courbes sont impressionnantes.
Il faut maintenant que l’argent arrive rapidement.
Guy Parmelin
LE PRINCIPE DES AIDES
Nous sommes presque de retour à la situation de semi-confinement de mars, mises à part les écoles, pourtant l’aide économique tarde à venir... Que répondez-vous à un patron qui dit ne plus rien recevoir depuis des mois, à l’exception des réductions de l’horaire de travail (RHT)?
Nous ne nions pas certaines difficultés. Depuis le début de la crise, ce sont plusieurs milliards de francs qui ont ainsi été injectés dans l’économie pour assurer les salaires et les liquidités des entreprises par les RHT, l’assurance perte de gain et les prêts Covid. En septembre, nous nous sommes aussi mis d’accord avec les cantons pour trouver une solution en faveur des cas de rigueur.
Nous vivons maintenant la deuxième vague et le Conseil fédéral a remis l’ouvrage sur le métier. Lors de sa session d’hiver, le Parlement a augmenté les RHT pour les bas salaires. Le système pour les cas de rigueur a été finalisé et son financement assuré à hauteur de 2,5 milliards de francs. Une large marge de manœuvre a été concédée aux cantons et les critères pour l’octroi de ces aides ont été aussi assouplis. Avec la règle des 40 jours de fermeture pour en bénéficier, les personnes directement touchées par les décisions du Conseil fédéral sont pratiquement toutes assimilables aux cas de rigueur. La question encore en suspens est de savoir si les moyens injectés suffiront. Le cas échéant, le Conseil fédéral sollicitera des crédits supplémentaires auprès du Parlement.
Nous reviendrons sur les montants dans un instant,mais avant cela, ceux déjà disponibles vont-ils arriver vraiment plus vite ?
Tous les cantons, à deux exceptions près en Suisse alémanique, seront en mesure de distribuer les aides d’ici fin février. Avec les décisions formelles prises par le Conseil fédéral, une entreprise éligible devrait pouvoir obtenir au moins un sursis de paiement jusqu’à ce que les moyens financiers soient attribués. Il faut maintenant que l’argent arrive rapidement aux destinataires.
Quelle sera la situation des hôtels? Beaucoup ont fermé faute de clients, mais pas sous la contrainte des autorités. Pourront-ils recevoir une aide?
Avec les nouvelles règles, nombreux sont ceux qui vont pouvoir bénéficier de ces aides. Il revient aux cantons de les distribuer selon les principes fixés par le Conseil fédéral et le Parlement.
Vous fermez les librairies mais pas les quincailleries, n’est-ce pas discriminatoire?
L’objectif est de restreindre les possibilités de rencontre et de mouvement de la population. Comme dans toute mesure, il y a des cas limites, des effets de seuil. On peut le regretter. Mais nous pourrons aussi adapter le cas échéant certains critères en fonction des expériences. Nous avons d’ailleurs appris de la première vague. Les marchés de bétail en plein air restent par exemple ouverts, ce qui n’était pas le cas au printemps.
Mercredi, la Chambre vaudoise de commerce et d’industrie s’inquiétait: «quand un secteur se voit contraint de fermer sur décision des autorités, cela n’impacte pas uniquement ce secteur. En effet, toute une chaîne d’approvisionnement et de sous-traitance qui, elle, n’est pas fermée, ne peut pas prétendre aux mêmes aides alors qu’elle continue son activité.» Cette situation ne risque-t-elle pas d’opposer les secteurs les uns aux autres?
Ce n’est pas l’intention du Conseil fédéral. Nous souhaitons trouver les solutions les plus efficaces et pragmatiques, afin de pouvoir payer rapidement là où cela est nécessaire. L’objectif des différentes aides a toujours été de sécuriser les salaires et d’assurer les liquidités des entreprises, et non pas de maintenir les structures non viables. Les faillites ont baissé en 2020 par rapport à l’année précédente, ce qui nous a d’ailleurs valu de certains le reproche d’avoir apporté plus de soutien que nécessaire.
Une étude de Gastrosuisse estime que 62% des structures de la restauration n’étaient déjà pas rentables avant la crise. Un tel chiffre interpelle. Cela montre bien la difficulté de prendre des mesures ciblées, adaptées à la situation.
LES MONTANTS DÉBLOQUÉS
Vos mesures ont fait réagir des cantons, dont Genève. «Cette nouvelle [fermeture] est catastrophique pour le canton», a déclaré mercredi Nathalie Fontanet, cheffe du Département des finances. Elle s’est dit choquée et stupéfaite. En particulier parce que l’enveloppe de 80 millions de francs prévue par la Confédération pour le canton n’a pas bougé. Que lui répondez-vous?
J’ai été très surpris par cette prise de position. Lors de la présentation des mesures, M. Maurer a laissé entendre qu’il savait que les 2,5 milliards prévus ne suffiraient sans doute pas et que le cas échéant le Conseil fédéral demandera des moyens supplémentaires. Le Conseil fédéral va solliciter des moyens supplémentaires auprès du Parlement.
D’autres cantons se sont déclarés satisfaits. Peut-être y a-t-il des malentendus sur certains points. Le travail effectué en collaboration étroite avec les cantons a été colossal pendant les fêtes de fin d’année pour mettre en œuvre les nouvelles mesures.
Le Conseil fédéral n’agit-il pas toujours avec un temps de retard au niveau de son soutien à l’économie?
Il y a une semaine voire dix jours, nous pensions que les 2,5 milliards de francs pour les cas de rigueur seraient suffisants. C’était sans compter avec le développement de la mutation du virus. Ce n’est pas très différent à l’étranger: chaque pays tâtonne et cherche la solution adaptée à l’évolution de sa situation.
Mais vous n’avez pas créé un choc de confiance comme en mars dernier lorsque vous avez débloqué des milliards.
A l’époque, nous étions sous le régime du droit de nécessité. Mais nous analysons la situation continuellement et effectuons toujours une pesée d’intérêts. Ce qui est clair, c’est que nous allons adapter notre aide économique en cas de nécessité.
Le printemps dernier, l’aide est toutefois arrivée beaucoup plus rapidement...
Les conditions étaient alors différentes. Nous évoluions dans l’inconnu. Nous étions aussi en situation extraordinaire. Les prêts Covid, par exemple, ont été mis sur pied en un temps record. Puis sont venues les premières récriminations. Le Parlement fédéral a souhaité être consulté. Il a fallu transposer le droit de nécessité dans le droit ordinaire. Aujourd’hui, la vie politique et parlementaire normale a repris son cours. Il faut, par exemple, consulter les cantons et lorsqu’ils sont concernés directement, les partenaires sociaux, ce qui ne peut pas se réaliser en quelques jours. Il faut aussi s’assurer que l’argent public sera correctement utilisé, ce qui demande aussi des efforts et des contrôles.
Pourquoi le Conseil fédéral n’a-t-il pas rétabli la situation extraordinaire durant la deuxième vague plus meurtrière que la première? Est-ce parce qu’il ne souhaitait pas assumer le coût des fermetures?
Les conditions ne sont pas réunies pour recourir une nouvelle fois au droit de nécessité.
Pourtant la deuxième vague est plus virulente...
Encore une fois: les conditions légales ne sont pas réunies. Le droit ordinaire nous permet néanmoins d’agir aussi avec beaucoup de rapidité. Les moyens mis à disposition pour les entreprises peuvent être validés a posteriori par le Parlement. Le Conseil fédéral bénéficie aussi d’une marge de manœuvre grâce à la loi Covid. C’est l’instrument principal de la Confédération dans cette crise. Néanmoins, un référendum a été lancé. S’il aboutit, il y aura un vote populaire. Or si le peuple devait refuser cette loi, tous les moyens mis à disposition des entreprises tomberaient.
Pourquoi n’avoir pas décidé au niveau fédéral d’octroyer des aides à fonds perdu pour tous les cas de rigueur?
Concernant ces aides, nous avons décidé de travailler avec les cantons. Le Parlement fédéral a d’ailleurs entériné cette façon de procéder. Aujourd’hui, il est primordial que le dispositif prévu se déploie rapidement.
Avez-vous constaté une hausse des abus?
Concernant les prêts Covid par exemple, nous avons observé peu de cas. Et parfois il s’agit de négligences. Chaque affaire représente néanmoins une de trop et doit être sanctionnée.
Pourquoi ne voulez-vous pas réactiver les prêts Covid? Et en convertir une partie à fonds perdu, comme le propose Jan-Egbert Sturm, à la tête des économistes de la task force?
La loi Covid nous permet de réactiver ces crédits, si le Conseil fédéral l’estime nécessaire. Mais pour cela il faut encore que les banques acceptent de participer à ce programme. Le Département fédéral des finances se trouve constamment en contact avec elles.
Etes-vous mentalement prêt à délier les cordons de la bourse?
Au risque de me répéter, le Conseil fédéral analyse en permanence l’évolution de la situation sur le plan sanitaire et économique. Nous avons toujours cherché à mettre en place des canaux facilités, afin que l’argent soit distribué rapidement aux entreprises.
Pour les cas de rigueur, il n’existe pas d’organisme spécial pour repartir l’argent. C’est là toute la difficulté. Nous voulons éviter d’inventer un nouveau système d’aide qui nécessiterait une nouvelle base légale ainsi que toute une infrastructure. Nous devons donc utiliser les canaux existants, en évitant de les surcharger
Avec les taux négatifs, la Confédération a les moyens de s’endetter...
Il ne faut pas minimiser le problème financier: ces milliards de francs, il faudra un jour les rembourser. Nous ne pouvons pas pénaliser les générations futures. Il s’agit également de milliards qui ne pourront pas être injectés dans d’autres domaines comme, par exemple, l’éducation ou les assurances sociales qui vont elles aussi au-devant de défis financiers. Pour elles, le financement des prestations dans le futur va devenir crucial. Nous avons enfin un frein à l’endettement, qu’il convient de respecter. Sans lui, nous n’aurions pas été en aussi bonne posture pour octroyer les aides actuelles.
LA CAMPAGNE DE VACCINATION
Au sujet des vaccins, êtes-vous favorable à un passeport Covid pour voyager ou assister à un spectacle?
Aujourd’hui déjà, vous ne pouvez bientôt plus prendre l’avion sans présenter un certificat de test Covid négatif. Peut-être qu’il faudra aussi un passeport vaccin, comme c’est déjà le cas pour la fièvre jaune. L’essentiel, c’est que cela soit coordonné sur le plan international, afin d’éviter des dizaines de documents différents.
Au plan opérationnel, les vaccins tardent à arriver dans les cantons...
Non, les commandes faites par la Confédération sont effectivement livrées. Elles sont certes encore insuffisantes mais vont être augmentées grâce à la certification du vaccin de Moderna.
Ne manque-t-il pas un capitaine dans ce navire?
Non, les cantons s’organisent. Le Tessin a, par exemple, vacciné toutes les personnes en EMS. A Genève, cela fonctionne bien aussi, d’après mes échos. C’est notre système fédéraliste. Alain Berset, notre ministre de la Santé, suit cette situation de près.
Avant de conclure, quand allez-vous vous faire vacciner?
C’est un secret d’Etat (rires). Le Conseil fédéral a annoncé qu’il se ferait vacciner. Il le fera dès qu’il le pourra. Et le moment venu, il communiquera sur ce sujet.