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Tripler les taxes des étudiants étrangers, une sélection à rebours

Les Ecoles polytechinques se trompent d'approche en augmentant les frais d'écolage pour ceux qui n'ont pas une maturité suisse. Par Jacques Neirynck

«Le décret [des EPF] contredit le principe de tout enseignement universitaire: on y recrute des enseignants et des enseignés en fonction de leurs qualités propres, en faisant abstraction de toute autre considération: passeport, religion, fortune, domicile.»
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«Le décret [des EPF] contredit le principe de tout enseignement universitaire: on y recrute des enseignants et des enseignés en fonction de leurs qualités propres, en faisant abstraction de toute autre considération: passeport, religion, fortune, domicile.»
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
15 juillet 2024, 17h47
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Le Parlement a coupé 100 millions de francs dans le budget des écoles polytechniques fédérales (EPF). Saisi d’un tardif remord, il a décidé de compenser en taxant l’étranger. Or on collectera au mieux deux ou trois millions. On aura le sentiment d’avoir fait quelque chose, mais quoi exactement?

Le Conseil national a décidé que les étudiants titulaires d’une maturité étrangère devront payer des taxes d’études trois fois plus élevées que les étudiants détenteurs d’une maturité suisse. La commission du Conseil des Etats s’est prononcée en faveur d’une augmentation, mais seulement du double. Dans certaines universités suisses, les taxes sont déjà différentes pour les étudiants suisses et étrangers. C’est notamment le cas à St-Gall, où les étudiants suisses payent 1229 francs et les étrangers 3129 francs.

La semaine passée, le Conseil des EPF a entériné cette prescription: les étudiants étrangers paieront une taxe d’inscription trois fois plus élevée. Ce décret contredit le principe de tout enseignement universitaire: on y recrute des enseignants et des enseignés en fonction de leurs qualités propres, en faisant abstraction de toute autre considération: passeport, religion, fortune, domicile. Le triplement des taxes pour les étrangers ne ralentira pas le flot (51% des inscriptions à l’EPFL) mais le déterminera sur base de la fortune des parents en négligeant l’essentiel, la capacité de réussir les études et la possibilité de s’engager dans la recherche.

Un étudiant étranger représente un capital déjà investi que la Suisse détourne à son profit.

Jacques Neirynck

La suggestion de faire payer davantage les étrangers repose sur une considération à première vue de bon sens. Les EPF sont financées par les contribuables suisses et non par les parents des étudiants étrangers. En les faisant payer davantage, on rétablirait la justice distributive. C’est négliger un autre facteur financier: un étudiant étranger s’engage à vingt ans sur base d’une formation antérieure entièrement financée par son pays d’origine: il représente un capital déjà investi que la Suisse détourne à son profit.

Une économie aussi avancée que celle de la Suisse ne peut fonctionner sur base de ses seules ressources démographiques. Le quart des médecins exerçant dans le pays ont été formés à l’étranger. Le médecin allemand travaillant en Suisse est remplacé dans son pays par un Polonais ou un Tchèque, qui à son tour l’est par un Syrien ou un Indien. Il existe une migration inéluctable des travailleurs qualifiés des pays pauvres vers les pays riches. Du point de vue global cela semble immoral, du point de vue individuel cela fait sens: comment pratiquer un métier de pointe dans un pays démuni des infrastructures les plus nécessaires? A quoi sert de s’y former pour ne pas le pratiquer?

On aurait plutôt intérêt à concevoir l’Europe comme les Etats-Unis. Certains Etats, tels la Californie ou le Massachusetts, recrutent des étudiants et des travailleurs dans tout le pays au détriment d’Etats moins développés, pour y développer une industrie de pointe. Il n’y a pas de frontière qui tienne en science ou en technique, mais des pôles de développement aspirant tous les talents. Il n’y a rien de plus absurde et contreproductif que de contrecarrer ce mouvement pour des raisons de prétendue et erronée justice fiscale.