Entraîné dans un tourbillon d’activités, le monde applique la règle selon laquelle faire et défaire, c’est toujours travailler, c’est-à-dire que c’est bénéfique pour l’entrepreneur et le travailleur. Cela crée de la richesse et des emplois. Ces avantages apparents dépassent de loin la futilité du processus. Ainsi, on peut apprécier le tabagisme: il crée des emplois dans les manufactures et les commerces de tabac; ses effets négatifs sur la santé créent des emplois en médecine, en pharmacie et en pompes funèbres.
Il en est de même de la captation de CO2 par des dispositifs qui le filtrent dans l’atmosphère pour les stocker dans le sous-sol. Une entreprise suisse, Climeworks, permet de capturer 40.000 tonnes de CO2 par an. Cela semble considérable, mais ce n’est qu’une illusion: la planète produit une dizaine de milliards de tonnes de gaz à effet de serre. Cette captation est donc de l’ordre du millionième de l’objectif, ou encore il faudrait un million de tels dispositifs pour y arriver. Et comment produire l’énergie pour leur fonctionnement sinon en polluant?
On ne résout pas les problèmes avec les outils qui les ont engendrés, disait déjà Einstein. On risque de les aggraver. Les canons à neige prolongent l’agonie des stations de ski en moyenne altitude, mais comme ils consomment de l’électricité, ils accélèrent le processus qui les rend nécessaires, ils suscitent des installations encore plus voraces. Ils sont l’analogue de ces traitements médicaux dont les effets secondaires sont pires que le mal soigné.
Nous avons créé un système, qui dépasse les capacités de recyclage de la planète
Jacques Neirynck
Un autre exemple est celui du climatiseur qui crée un îlot de fraîcheur en rejetant la chaleur à l’extérieur et en créant une chaleur supplémentaire par l’énergie qu’il consomme. L’auteur de ces lignes en détaille les arguments dans un ouvrage paru ce printemps, Le climatiseur contre le climat. Comment s’en passer.
Pour éliminer le CO2, il existe des mécanismes naturels: les océans en absorbent une partie, les plantes aussi durant leur croissance. Durant les derniers milliers d’années, cette teneur n’a guère varié parce que la planète se maintenait en équilibre par des mécanismes spontanés. Un faible excès de CO2 améliore la pousse des végétaux qui en absorbent davantage jusqu’à résorber cet excès. Cet équilibre peut devenir instable, s’il est ébranlé au-delà d’une certaine limite. La modification peut alors devenir cumulative et le retour à l’équilibre très lent. Le phénomène peut du reste devenir incontrôlable: si la température des océans augmente ou si les forêts sont détruites, l’absorption naturelle du CO2 diminue. Si le permafrost dégèle, il relâche du méthane, gaz à effet de serre en plus du CO2.
Nous avons créé un système, qui dépasse les capacités de recyclage de la planète. L’idée de recourir à la technique pour pallier ses effets paraît évidente, mais elle méconnaît le véritable défi: comment renoncer à la croyance fondatrice de notre société, le mythe de la croissance pour la croissance, sans délibération préalable de son objectif? Comment persuader les peuples, qui sont les détenteurs ultimes du pouvoir en démocratie, de réduire leur pouvoir d’achat, de changer d’emplois et de renoncer à leurs habitudes les plus chères? Tel est le véritable défi, insurmontable.