Quel serait l’impact de l’initiative «pour une économie responsable respectant les limites planétaires» sur les entreprises? Le débat public sur cette votation fédérale du 9 février 2025 se concentre essentiellement sur les restrictions qui porteront sur la consommation, la mobilité en Suisse et les voyages à l’étranger. Il met en avant l’explosion des coûts dans l’alimentation, le chauffage, les loyers ou encore les vêtements. En résumé: des choix de produits qui se réduisent comme peau de chagrin pour des prix beaucoup plus élevés, soit grosso modo un retour dans le monde des années 1930. On travaillerait essentiellement pour se nourrir et se loger.
La question n’est en revanche que peu abordée du point de vue de l’impact de ce texte sur les fabricants. Prenons le cas de l’industrie alimentaire, l’un des piliers de l’économie fribourgeoise, avec plus de 6600 emplois répartis dans plus 300 sociétés et filiales, à l’origine d’environ 5% du PIB cantonal, soit près de 1 milliard de francs de valeur ajoutée. La branche compte des fabricants renommés de produits aussi divers que le chocolat, le café, le fromage ou encore évidemment le lait et la viande.
Quelles seraient les conséquences de l’initiative sur ces entreprises? «Certains facteurs de production, les machines en particulier, devraient être modernisés bien plus rapidement que prévu (soit avant la fin de leur durée d’utilisation habituelle). Cela se traduirait par des charges considérables, en particulier d’un point de vue financier», note le Conseil fédéral dans son message adressé au parlement, dont la majorité a refusé cette initiative. «Il faudrait par ailleurs s’attendre à devoir réaliser d’importants investissements pour développer des produits, ce qui entraînerait des charges à la fois financières et humaines», ajoutait-il.
Cette initiative ne vise pas la durabilité, elle ignore la dimension sociale, aussi importante que la composante environnementale
Philippe Gumy
La majorité de ces entreprises pourraient-elles vraiment rester compétitives avec un cadre légal aussi drastique que celui voulu par l’initiative? Compte tenu des coûts de production déjà extrêmement élevés en Suisse – notamment les salaires, les loyers et le prix de l’énergie – et de la force du franc, il apparaît quasiment certain que les produits alimentaires fabriqués en Suisse n’auraient pratiquement plus aucun débouché à l’international. Les marges ne sont pas suffisamment élevées pour absorber de tels investissements en une décennie. Passons sur les effets collatéraux qui frapperaient les producteurs de la matière première, soit les agriculteurs, dont l’avenir serait encore plus compliqué à gérer puisque eux ne peuvent même pas songer à délocaliser.
Cette initiative ne vise donc pas la durabilité. Elle ignore en effet la dimension sociale, pourtant aussi importante que la composante environnementale. La transition vers une société décarbonée et respectueuse de l’environnement nécessite de tenir compte de toutes les variables. La Suisse s’y attelle et les entreprises sont en train d’opérer une transformation de large ampleur. Mais adopter des dispositions inflexibles – baisse de deux tiers de la consommation en dix ans – sans disposer de solutions serait insensé. Les opposants ont raison de parler d’une initiative «irresponsable». Ce devrait être le véritable nom de ce texte.