Lois, normes, règlements, prescriptions, procédures abondent afin de limiter le potentiel d’interprétation et d’action des acteurs, de fixer un cadre de plus en plus strict, générant un environnement éminemment bureaucratique. Véritable cancer des organisations que Balzac fustigeait déjà au XVIIIe siècle: «Entièrement composée de petits esprits, la bureaucratie […] s’épouvantait de tout, perpétuait les lenteurs, éternisait les abus qui la perpétuaient et l’éternisaient elle-même; elle tenait tout et le ministre même, en lisière…» Et cela perdure, parfois jusqu’à l’absurde, comme en témoigne ce qui suscite, en partie il est vrai, la révolte paysanne actuelle.
Dans un tout autre domaine, nous relevons qu’il n’y avait jamais eu autant d’experts de la conformité chez Credit Suisse (contrôleurs internes, auditeurs et autres compliance officers), qu’au jour de son sauvetage par UBS… Est-ce que les montants faramineux, directs et indirects, investis ces dernières années dans la gestion du risque ont véritablement contribué à le réduire? il est permis d’en douter. Pour les puristes du droit, «les circonstances n’ont pas d’importance», mais c’est pourtant bien en s’y adaptant qu’on peut trouver les solutions les plus pertinentes, à condition bien sûr d’être en capacité de prendre le recul nécessaire pour évaluer le sens avant d’appliquer la règle.
Bien entendu, il y a des domaines où la créativité n’a pas vraiment sa place, mais dans la plupart des cas, il faut laisser de la marge de manœuvre aux acteurs, responsabiliser plutôt que soupçonner
Steeves Emmenegger
Relevons aussi que la conformité est toujours en décalage avec la réalité et que dans notre monde imprévisible, l’agilité est une question de survie. Cette normalisation à l’extrême, et l’hyper-contrôle qui y est associé, est cependant confrontée à un biais majeur: un des premiers facteurs de motivation des gens est l’appropriation de la tâche, et les professionnels les plus brillants fuient ces organisations castratrices. Leurs difficultés actuelles à recruter des professionnels compétents, des «grands esprits» pour reprendre Balzac, en attestent.
Les organisations performantes, qui privilégient le «benchmarking» dans un objectif d’amélioration continue, cherchent toujours à identifier les «best practices» des meilleurs de leur industrie. Cette approche normative, sécurisante et balisée ne garantit jamais à elle seule le succès, car il est toujours nécessaire de se différencier par rapport à la concurrence. Or, cette distinction ne peut naître que dans des conditions favorables, valorisant l’imagination, la capacité à sortir du cadre et à prendre des risques, justement.
Bien entendu, il y a des domaines où la créativité n’a pas vraiment sa place, comme la comptabilité par exemple, mais dans la plupart des cas, il faut laisser de la marge de manœuvre aux acteurs, responsabiliser plutôt que soupçonner. Plus concrètement et en d’autres mots, développer les compétences, les valeurs, et faire confiance. Et c’est bien sur la compétence et sur l’éthique qu’il est impératif de fixer un cadre, un niveau d’exigence qu’il s’agit là, de contrôler. Il sera toujours moins cher de faire confiance à des professionnels loyaux et compétents que d’accroître la bureaucratie, d’aligner les procédures et de renforcer les contrôles.