Au-delà des blocages récurrents de son système de règlement des différends, des thématiques importantes sont actuellement abordées au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’une des plus essentielles a trait aux droits de douane sur les transactions commerciales en ligne. Les pays émergents y sont en effet très favorables dans le souci d’accroître leurs recettes.
Est-il besoin de rappeler que les ventes de produits et de services en ligne ont le vent en poupe? Année après année elles ne cessent d’augmenter jusqu’à atteindre, en 2022, plus de 5400 milliards de dollars. Et la tendance est bien loin de s’inverser puisqu’on estime qu’en 2050 elles constitueront plus de 90% des achats globaux des consommateurs. Les sommes en jeu sont donc hors norme et les acteurs principaux surtout localisés dans l’hémisphère nord. Aucune surprise dès lors si l’harmonisation de leur réglementation commerciale divise les membres de l’OMC le long d’une ligne de fracture, hélas, assez habituelle entre pays industrialisés (vendeurs) et en développement (principalement acheteurs).
La question qui fâche est la suivante: faut-il instaurer des droits de douane dans le domaine du commerce électronique? Jusque-là, et depuis 1998, les Etats membres de l’OMC se sont toujours entendus sur la prolongation d’un moratoire qui les prohibait. Aujourd’hui, alors que l’actuel moratoire touche à sa fin, les lignes bougent et une éventuelle prolongation est loin d’être acquise. En effet, des ténors du sud global comme l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan ou l’Afrique du Sud n’en veulent plus et sont prêts à réinstaurer des droits de douane sur les achats en ligne importés sur leur territoire. Même si la majorité des pays membres (tout comme le FMI, l’OCDE ou la Cnuced) restent convaincus qu’il s’agit d’une mauvaise idée et que la TVA à l’importation est une solution bien plus adéquate notamment en termes de recettes.
La communauté internationale ne pourra faire l’économie d’un rééquilibrage du système fiscal international en fonction des évolutions décisives de la digitalisation et du commerce à distance.
Jean-Blaise Roggen
Derrière cette opposition de quelques grands pays, et au-delà de leur possible volonté de créer des champions nationaux à l’abri de barrières tarifaires, se cache néanmoins un autre problème tout aussi lancinant: la répartition des recettes fiscales entre le pays de production (ou de distribution) et celui du marché dans le commerce électronique. A ce titre, le report répété de l’introduction du pilier 1 du programme GLOBE de l’OCDE, appelé également «Global Digital Tax» (destiné en substance à permettre aux Etats du marché de pouvoir imposer en partie le revenu du commerce digitalisé réalisé par de très grandes multinationales, comme Apple, Amazon ou Samsung) ne va pas contribuer à décourager les tenants de la réintroduction des droits de douane…
A terme, la communauté internationale ne pourra faire l’économie d’un rééquilibrage du système fiscal international en fonction des évolutions décisives de la digitalisation et du commerce à distance. Notre vieux système actuel fondé sur des concepts établis lors de l’ère industrielle a fait ses preuves, mais un toilettage nécessaire est désormais admis par tous. C’est sans doute à ce prix que l’on évitera la résurgence de concepts aussi surannés que les droits de douane.