Les techniques concernent trois domaines: la matière, l’énergie, l’information. Il existe des lignes de partage entre ces domaines. Par exemple, la règle selon laquelle il est plus efficace de traiter et transmettre l’information en utilisant l’énergie que la matière: mieux vaut un bit qu’un atome. On a mis du temps pour y parvenir et le comprendre. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’apparaissent le télégraphe, le téléphone et la radio. Après il a fallu un siècle pour l’ordinateur, la télévision, la numérisation.
Cette évolution est irrésistible et il est vain de vouloir l’ignorer, la freiner ou l’interdire. On peut regretter que Tamedia ferme l’imprimerie de Bussigny, licencie des journalistes et remette en cause La Tribune de Genève. On ne peut que pallier ces mesures en recasant les travailleurs et en légiférant pour préserver la diversité des opinions. On doit garder à l’esprit que les sociétés comme les êtres vivants sont soumis à une évolution qui entraîne des disparitions nécessaires pour permettre des naissances indispensables. Il en est de même de la boîte aux lettres qui ne survivra pas à Internet.
Dans cet esprit, il faut se préoccuper de la qualité de l’information, de sa diffusion, de sa réception. Et là, il n’y a pas de modification possible: l’intelligence humaine est irremplaçable car elle seule est capable d’apprécier, d’évaluer, de contrôler la valeur d’une information. L’épidémie de mensonges (dites «fake news» pour laisser croire qu’il subsiste une forme de nouvelles) est une arme du pouvoir. Donald Trump ou Vladimir Poutine déversent des torrents de menteries qui acquièrent une certaine crédibilité, au moins pour la moitié des citoyens des Etats-Unis et l’immense majorité des Russes.
Il serait dangereux de croire qu’il suffit de se lamenter devant les déboires de la presse papier en stigmatisant la rapacité des dirigeants de Tamedia
Jacques Neirynck
Shakespeare l’a dit: «La vie est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.» Mais cette citation lucide n’informe pas les populations, elle ne leur révèle pas que leur destin est entre les mains d’un gouvernant qui est stupide avant même d’être mal intentionné. Les obsessions de Hitler et de Staline ont détruit leurs régimes et discrédité leurs prétendues valeurs. Le mensonge est d’abord un refus de contempler la réalité en face, avec tout ce qu’elle comprend de contraire à nos désirs. Le pragmatisme politique ou économique ne peut se fonder que sur une perception rigoureuse de la réalité. Lénine a fini par le reconnaître en constatant que Les faits sont têtus lorsque la révolution de 1917 n’apporta pas instantanément tous les bénéfices qu’il imaginait.
Il serait dangereux de croire qu’il suffit de se lamenter devant les déboires de la presse papier en stigmatisant la rapacité des dirigeants de Tamedia. Ils effectuent leur travail qui consiste à organiser les soins palliatifs requis par la décadence de l’imprimerie.
En revanche, il y a un vaste champ politique à explorer: comment garantir à terme la liberté d’opinion dans un monde numérisé au bénéfice de quelques grandes firmes informatique américaines? Comment l’instruction publique peut-elle enseigner le discernement au citoyen pour démêler le vrai du faux? Comment garantir une carrière autonome et stable à tous ceux qui travaillent dans ce domaine?