L’assurance maladie ne doit pas prendre en charge les soins dentaires, selon le Conseil national, qui a rejeté lundi passé par 123 voix contre 62 une initiative parlementaire en ce sens
Ces soins ne sont pas couverts par l’assurance de base, mais par une complémentaire, chère et partielle. Les familles à revenus limités renoncent aux soins nécessaires, avec parfois des conséquences graves sur la santé. Le traitement de ces complications occasionne des coûts élevés. L’économie sur les coûts dentaires n’est donc qu’apparente. Le Conseil national est à tort incité dans son refus par la crainte d’une augmentation des primes d’assurance maladie.
Comme prétexte pour cette décision irrationnelle, incitée par la crainte plus que par le discernement, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) avance qu’il faut avoir une bonne hygiène bucco-dentaire. Cette condition est nécessaire, mais l’administration feint de croire qu’elle serait de ce fait suffisante: celui qui se brosserait les dents après chaque repas n’aurait jamais besoin de frais dentaires, comme s’il n’y avait pas d’autre affection que des caries.
Ignorer la mâchoire revient à supposer qu’elle ne fasse pas vraiment partie du corps, qu’elle pourrait en quelque sorte en être détachée par la pensée
Jacques Neirynck
En résumé, comme la santé de la mâchoire dépendrait seulement des soins, les imprévoyants mériteraient d’être punis: obligés de débourser des frais astronomiques s’ils en ont les moyens, condamnés à de lourdes souffrances s’ils n’en disposent pas. Mais ce beau principe de médecine préventive n’empêche pas l’assurance de couvrir les frais engendrés par l’abus d’alcool et de tabac.
Du point de vue strictement médical, cette décision est erronée: le corps humain constitue un ensemble où chaque organe peut pâtir de la déficience d’un autre. Ignorer la mâchoire revient à supposer qu’elle ne fasse pas vraiment partie du corps, qu’elle pourrait en quelque sorte en être détachée par la pensée. Cette opération mentale n’est concevable que sur le plan abstrait du juridisme. La législation suisse définit ainsi un patient sans mâchoire.
Mais quel est le concept de base de l’assurance maladie? Est-ce vraiment la santé dans son acception médicale, pragmatique, réaliste? Ou bien est-ce plutôt un concept abstrait de la santé avec un objectif flou? Sur quoi se fonde la majorité du parlement fédéral en méprisant le droit aux soins dentaires? Sinon sur le préjugé: quoi que l’on fasse, aucune assurance maladie ne peut réaliser l’égalité entre tous les citoyens. C’est une réalité incontournable. Ne serait-ce que par suite de leur instruction, les couches aisées de la population jouissent d’une espérance de vie supérieure à celle des travailleurs manuels, qui sont désavantagés de plus par des emplois invalidants.
Toutefois, il s’impose de les soigner par réalisme, parce qu’un travailleur devenu handicapé tombe à la charge des finances publiques et manque à l’économie. Les soins de santé peuvent être considérés comme un investissement. Sauf logiquement pour la dentition, dont le travailleur peut se passer sans cesser d’être performant. Un citoyen démuni qui perd ses dents demeure néanmoins un travailleur potentiel. L’assurance maladie doit contenir les affections réellement invalidantes, du cœur, des poumons ou de l’ossature.