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Le climat devient un sujet de controverse

Le jugement de la CEDH donne l'occasion aux différents bords politiques de flatter leur clientèle électorale, plutôt que de s'attaquer à la problématique du réchauffement climatique. Par Jacques Neirynck

Dans un jugement «historique», la CEDH a donné raison aux Aînées pour le climat, qui dénonçaient l'inaction de la Suisse en matière de protection du climat.
KEYSTONE
Dans un jugement «historique», la CEDH a donné raison aux Aînées pour le climat, qui dénonçaient l'inaction de la Suisse en matière de protection du climat.
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
15 avril 2024, 10h00
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La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la Suisse pour son manque d’engagement climatique. C’est inédit à deux titres: tout d’abord, des magistrats estiment, en fonction du droit, que la politique d’un pays ne s’y conforme pas, en fraudant la séparation des pouvoirs. Ensuite, cette décision crée un nouveau contentieux entre la droite et la gauche.

Jadis, la différence entre les deux ailes d’un parlement et de l’opinion publique concernait le conflit d’intérêts entre les travailleurs, locataires, consommateurs d’une part et les patrons, producteurs, propriétaires d’autre part: entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien. Cette tension sociale est vieille comme le monde: à Rome, il y avait déjà des consuls pour les patriciens et des tribuns pour les plébéiens.

A ce débat traditionnel s’en superpose un autre, qui n’a apparemment rien à y voir. La décision de la CEDH sur la politique de l’environnement est accueillie avec enthousiasme à gauche et irritation à droite. Les premiers considèrent que le réchauffement climatique constitue le défi majeur de notre époque, les autres que c’est un sujet mineur.

Faute d’alternative, la gauche se drape dans la défense de l’environnement, alors que la droite, nie déraisonnablement le réchauffement, parce que sa prise en compte coûtera cher à l’économie.

Jacques Neirynck

Or, la visée du jugement n’est pas de prescrire des mesures concrètes contre cette variation du climat, mais d’en reconnaître la réalité et l’urgence plutôt que de les dénier. A cette aune, la gauche est le lieu de l’objectivité scientifique, du réalisme, du pragmatisme, et la droite le refuge de l’ignorantisme, de l’idéologie et de l’irréalisme. Ce qui signifierait que les électeurs du premier bord politique sont mieux formés que ceux du second, plus rationalistes et moins utopistes, qu’ils sont les patriciens de notre siècle opposés aux plébéiens populistes, qu’il y a inversion des rôles entre les élites du savoir et les ignorants.

Cette réflexion mérite d’être nuancée. Les deux prises de position contradictoires sont peut-être plus politiciennes qu’il n’y paraît à première vue. Faute d’alternative, la gauche se drape dans la défense de l’environnement, parce que la société de consommation a affaibli les classiques revendications prolétariennes et qu’il lui faut en conséquence un nouveau fonds de commerce, concurrencé par les écologistes. La droite, quant à elle, nie déraisonnablement le réchauffement, parce que sa prise en compte coûtera cher à l’économie. Chacun défend en réalité ses intérêts à court terme, qui sont en contradiction avec les défis du futur. La droite doit prolonger l’agonie des stations de ski avec des canons à neige artificielle plutôt que de les fermer tout de suite. La gauche doit instrumentaliser le climat pour garder son audience.

Qu’est-ce que cela va changer? Probablement rien, sinon des déclarations apaisantes du Conseil fédéral, qui fera valoir tout ce qui a déjà été fait, que ce soit efficace ou non. Le problème avec la justice et la gouvernance, c’est que la parole y règne en maîtresse, et qu’il suffit de cocher quelques éléments obligés du langage pour faire croire que l’on a agi. Le redoutable défi est de moins consommer pour moins produire, de tout, depuis la viande de bœuf jusqu’à la bagnole. On n’est pas près de faire cette révolution économique dont on ne connaît pas le mode d’emploi.