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La tentation de l’ignorance

L’UDC entretient le regret du nucléaire et la détestation des énergies renouvelables. Par Jacques Neirynck

Albert Rösti a défendu le projet de loi sur l’approvisionnement énergétique devant l’UDC, sans convaince.
KEYSTONE
Albert Rösti a défendu le projet de loi sur l’approvisionnement énergétique devant l’UDC, sans convaince.
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
28 mars 2024, 15h00
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Le conseiller fédéral Rösti a défendu, le 24 mars, le projet de loi sur l’approvisionnement énergétique devant l’UDC. Son argument simple et objectif, la nécessaire indépendance de la Suisse, n’a cependant pas convaincu. Il n’a réussi qu’à persuader 40% des délégués, les autres s’y opposant en suivant quelques ténors du parti dont le président Marcel Dettling.

Le parti souverainiste entretient le regret du nucléaire et la détestation des énergies renouvelables. Argument caractéristique d’un habitant du canton de Zurich: «Je ne veux pas endommager mon beau paysage par la production d’un courant qui sera utilisé par la ville de Zurich qui vote à gauche.»

En sus de l’impasse énergétique, une initiative est lancée par ce parti pour empêcher les futures campagnes de vaccination obligatoire afin que «l’Etat n’intervienne plus jamais aussi massivement dans la vie privée que lors de la pandémie de Covid».

Tout gouvernement est obligé de se soumettre à la réalité; les recrues des partis souverainistes du monde entier s’en dispensent, car ils ne sont assemblés que par le regret d’un passé fantasmé, où il n’y aurait eu ni crise énergétique, ni épidémie, ni guerre d’Ukraine, ni impérialisme chinois. Ils sont peu ou mal, voire pas informés du tout. Limités à une formation élémentaire, ils se méfient de la science telle que pratiquée dans les universités. Ils se sentent rassurés de camper sur des bases solides d’ignorance plutôt que de courir après des connaissances fugaces et nocives. L’énergie peut toujours provenir d’un feu de bûches et une épidémie se soigner par les médecines naturelles, voire par le mépris.

L’acratie helvétique, le peuple est le souverain. […] Cela suppose néanmoins que la majorité des votants ait une représentation à peu près claire de ce qu’implique une initiative ou un référendum

Jacques Neirynck

Quelque effort que déploient les enseignants, il demeure toujours et partout un résidu incompressible de 10% d’illettrés, plus une marge supplémentaire de citoyens qui ne peuvent interpréter un texte en le lisant. De leur vie ils n’ont lu un livre, ils ne sont abonnés à aucun journal, ils ne regardent pas les bulletins d’information télévisés. Ils sont en pâture libre dans une nature de plus en plus complexe, de moins en moins compréhensible. Ils ne peuvent faire confiance qu’à ceux qui encouragent leurs obsessions: l’Union européenne est impérialiste, les immigrants sont des paresseux ou des criminels, l’islam est une religion violente, même les juifs redeviennent suspects puisque nos ancêtres le pensaient.

Dans le cas particulier de l’acratie helvétique, le peuple est le souverain. Ses édits sont la loi parce que tel est son bon plaisir. Cette option constitutionnelle suppose néanmoins que la majorité des votants ait une représentation à peu près claire de ce qu’implique une initiative ou un référendum. Mais on n’est jamais à l’abri d’une dérive globale. Bien que ce fût un des peuples les plus instruits et les plus cultivés du monde, en décembre 1932, le peuple allemand a lâché la démocratie pour se fier à un leader populiste. Aujourd’hui encore, les Russes réélisent d’enthousiasme un dangereux dictateur. Aucun peuple n’est à l’abri de ce genre d’aveuglement, même et surtout celui qui s’estime le plus éclairé du monde.