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Le secret de l’innovation

Malgré sa taille modeste, la Confédération se trouve à la troisième place en Europe et la septième dans le monde. Par Jacques Neirynck

«A part les deux EPF, la formation académique est l’affaire des cantons qui agissent dans une sourcilleuse indépendance et seule la formation professionnelle est réservée au pouvoir central.»
KEYSTONE
«A part les deux EPF, la formation académique est l’affaire des cantons qui agissent dans une sourcilleuse indépendance et seule la formation professionnelle est réservée au pouvoir central.»
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
25 mars 2024, 15h00
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Tout habitant de la Suisse est partagé entre deux sentiments contradictoires: d’une part, le sentiment de vivre dans un pays riche et, d’autre part, l’ignorance de son origine et la crainte de son effritement. Ne serait-il pas bénéficiaire d’une sorte d’injustice économique? Rien dans la démarche politique ne donne l’impression d’intuitions géniales ou de décisions inventives. La gouvernance est falote, la finance désordonnée, la diplomatie effacée, le pouvoir atomisé. Cela évoque un avion sans pilote qui arrive cependant à bon port.

Une réponse possible, partielle, se trouve dans une statistique méconnue. La Suisse est le pays qui a déposé le plus de demandes de brevets par habitant auprès de l’Office européen des brevets en 2023 avec 1085 demandes par million d’habitants. C’est plus que le double de la Suède, classée 2e avec 495 dépôts par million d’habitants. Cette valeur est considérée comme «un indicateur essentiel de la force d’innovation d’un pays». Même en chiffres absolus, malgré sa taille modeste, la Confédération se trouve à la 3e place en Europe et la 7e dans le monde.

Ce ne sont donc pas les exportations de fromage et de montres qui sont les facteurs essentiels de la fortune helvétique, mais l’innovation. La Suisse, pays champion de la science? Sans doute en comparaison avec les autres pays européens. Moins si l’on prend en compte les Etats-Unis et la Chine.

Dans le domaine crucial du numérique, les Gafam ont imposé leur emprise et construit des fortunes gigantesques en quelques années. Certes l’Europe publie le plus de communications scientifiques sur l’IA, mais elles ne se traduisent pas par des brevets. La course se déroule entre ces deux géants hors de notre continent avec la Chine en voie de l’emporter. Le facteur décisif semble le financement à risque des idées les plus innovantes, les plus dérangeantes, que ce soit dans une démocratie libérale ou dans une dictature.

C’est en laissant les acteurs scientifiques libres d’agir selon leur vocation et leur intuition que la Suisse se hisse au sommet

Jacques Neirynck

Rien n’est jamais acquis en sciences et en techniques. La Suisse se doit donc de veiller soigneusement à ce qui conditionne sa place surprenante. Or, elle n’a même pas un ministère de l’éducation et de la recherche nationale: l’Office fédéral de la formation n’est qu’une annexe du Département de l’économie. A part les deux écoles polytechniques fédérales (EPF), la formation académique est l’affaire des cantons qui agissent dans une sourcilleuse indépendance et seule la formation professionnelle est réservée au pouvoir central. Le principe de base est l’autonomie des institutions. Comme cela marche, il ne peut être question d’y déroger. Provisoirement on doit s’en tenir au concept de l’avion sans pilote qui ne se crashe pas.

On touche ici à ce qui est probablement le centre du paradoxe helvétique. Le pouvoir est atomisé entre les niveaux de décision et des gouvernants effacés. Cela ressemble au mécanisme de l’évolution biologique: des variations au hasard sans pouvoir organisateur qui sont sélectionnées par la nécessité de survivre. C’est en laissant les acteurs scientifiques libres d’agir selon leur vocation et leur intuition que la Suisse se hisse au sommet. En un mot parce qu’elle n’est pas gouvernée et que les citoyens ne se sentent pas dirigés.