Comme chaque année, le cabinet indépendant Shanghai Ranking Consultancy publie le classement des universités du monde. Le trio de tête est toujours Harvard, Stanford et le MIT. Parmi les dix premières places, toutes sont américaines sauf Oxford et Cambridge, ce qui recouvre une réalité datant de la Seconde Guerre mondiale: des chercheurs allemands et autrichiens, fuyant le nazisme, ont apporté un lustre nouveau aux universités anglo-saxonnes. A commencer par Albert Einstein passant de Berlin à Princeton dès 1932.
La première université en dehors de ce monde anglophone est Paris-Saclay, mais ce classement est biaisé par une opération de pure politique: Nicolas Sarkozy a fait fusionner plusieurs institutions préexistantes en spéculant sur le seul avantage de la taille. On peut plutôt apprécier l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) en 21e position. L’Ecole polytechnique de Lausanne se classe 55e. Et remarquer que les 22e et 24e places sont déjà occupées par des universités chinoises. La meilleure des allemandes, Heidelberg, ne vient qu’en 50e position.
Les sciences humaines sont défavorisées par rapport aux écoles d’ingénieurs et de physiciens
Jacques Neirynck
Pour relativiser ce palmarès, il est tentant de critiquer les critères utilisés: le nombre de médailles Fields ou de Prix Nobel et le nombre de publications et de citations. Aucun critère du classement ne prend en compte la qualité de l’enseignement ni le niveau des élèves diplômés, le taux de réussite des étudiants ou le taux d’insertion professionnelle des diplômés, alors que l’une des vocations des établissements classés semble d’abord l’enseignement et la formation d’élèves qui, pour la plupart, ne se destinent pas à la recherche. Les sciences humaines sont défavorisées par rapport aux écoles d’ingénieurs et de physiciens.
Néanmoins ce classement a du sens dans une certaine perspective: celle d’universités au service de la recherche, des techniques de pointe, de l’économie, du prestige et du pouvoir des nations. Ce n’est pas tout à fait celle de l’origine et de la tradition académique pour lesquelles le domaine était «de omni re scibili», de tout ce que l’on peut savoir, sans classer les connaissances par ordre de rentabilité. La littérature vaut bien l’agriculture.
Une fois que l’on a remis ce classement de Shanghai à sa juste place, il reste néanmoins pertinent dans la décision politique: où investir pour la promotion de l’économie nationale? Même si la pédagogie semble absente des critères, il faut comprendre que le bon enseignant doit d’abord être un chercheur qualifié. Comme il dispose de la liberté académique de composer la matière de son cours, il faut que celui-ci soit orienté en fonction des dernières découvertes, des filières intellectuelles les plus prometteuses, des révolutions scientifiques latentes.
Souvent un bon chercheur est un mauvais enseignant, car il ne parvient pas à se mettre à la portée des étudiants, mais ceux-ci sentent qu’ils sont en présence de ce qu’il y a de plus précieux à l’université: la remise en cause et le dépassement de ce qui est connu pour accéder à ce qui est à connaître. Si un jeune, brillant et ambitieux, doit choisir sa future alma mater, il peut se fier au classement de Shanghai: il fut inventé par les Chinois, dépositaires d’une vieille civilisation.