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Le nationalisme olympique

Les créations de l’ONU et de l’UE fournissent des instruments de paix, nettement plus adéquats que le détournement de l’esprit des Jeux. Par Jacques Neirynck

«Pour la France, ces Jeux célébrés sont une occasion unique de troquer les querelles politiques inextricables pour une sorte de fierté nationale retrouvée. On oublie le poids de la dette et l’incapacité de former un gouvernement.»
KEYSTONE
«Pour la France, ces Jeux célébrés sont une occasion unique de troquer les querelles politiques inextricables pour une sorte de fierté nationale retrouvée. On oublie le poids de la dette et l’incapacité de former un gouvernement.»
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
12 août 2024, 15h00
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Dans la Grèce antique, assemblage de petites cités-Etats, existait le sentiment d’appartenir à une communauté non seulement de langue mais aussi de culture et de croyance. Cette unité était célébrée dans des Jeux sportifs, avec une importante composante religieuse, durant lesquels une trêve militaire était (en principe) observée. Les athlètes concourraient à titre personnel puisque l’on célébrait la communauté des citoyens qui dépassait celle des micro-Etats.

Le baron de Coubertin fit adopter le principe d’une renaissance des Jeux en 1896 à Athènes, en y introduisant des sports modernes, tout en proposant l’itinérance du site. Car il liait les Jeux au mouvement international pour la paix et il édicta les principes de l’olympisme: respect de l’adversaire, loyauté, universalité. Ces jeux modernes se distinguent de ceux de l’Antiquité par l’absence de dimension religieuse et par le remplacement de la compétition entre individus par celle entre les Etats.

Si Pierre de Coubertin espérait que la compétition sportive remplacerait les batailles, il fut vite désabusé, puisque dès 1914 les Etats revinrent à leur pugnacité ordinaire. Pire, les Jeux de 1936 à Berlin célébrèrent le nationalisme germanique que Coubertin s’abstint de condamner. Il était au fond nationaliste, raciste et machiste: les femmes étaient exclues des Jeux. La compétition entre les nations prit la forme d’une célébration idéologique. Le régime communiste n’hésita pas à doper ses athlètes pour imposer l’idée de sa suprématie historique.

N’importe quel Etat peut se hisser sur le podium en investissant dans la préparation de ses athlètes. Cela coûte moins cher qu’une politique de la santé ou de la formation

Jacques Neirynck

Malgré tout l’attrait des JO de Paris, force est de constater que l’on n’est pas sorti de cette impasse. Chaque soir on fait le bilan des médailles et on affiche le palmarès des vainqueurs, pas des athlètes mais des pays: Chine, Etats-Unis, France. La dimension politique est maximale en interdisant la participation de la Russie alors que les athlètes russes, les véritables et seuls compétiteurs, ne sont pas responsables des choix politiques de la dictature dans laquelle ils vivent.

Pour la France, ces Jeux célébrés sur son territoire sont une occasion unique de troquer les querelles politiques intestines inextricables pour une sorte de fierté nationale retrouvée. On oublie le poids de la dette et l’incapacité de former un gouvernement, comme si cela n’avait plus aucune importance.

Les empereurs romains l’avaient bien compris. Pour se maintenir au pouvoir leur recette était panem et circenses, du pain et des jeux. Ils achetaient leur popularité en distrayant les citoyens des véritables problèmes. Ceux-ci n’étaient pas résolus parce que c’eût été impopulaire; ils pourrirent lentement jusqu’à précipiter la chute de l’Empire.

Les créations de l’ONU et de l’Union européenne fournissent des instruments de paix, nettement plus adéquats que le détournement de l’olympisme. Si l’on veut la paix, on ne l’atteindra pas en préparant la guerre ou quelque compétition de substitution sportive, qui exalte les Etats au lieu de les dépasser. N’importe quel Etat peut se hisser sur le podium en investissant dans la préparation de ses athlètes. Cela coûte moins cher qu’une politique de la santé ou de la formation, mais ce n’est que de la poudre aux yeux.