Une exigence, voire une espérance, est aujourd’hui omniprésente, comme une sorte de baguette magique, un joker rédempteur: recircularisons l’économie. La nature, qui est une forme d’économie, ne fonctionne depuis la nuit des temps que par un permanent recyclage de la matière: cycle du carbone, de l’eau, du vivant qui se décompose pour constituer de nouvelles chaînes du vivant… Sans le cycle de la décomposition qui transforme les feuilles mortes en humus, la végétation, socle de la biodiversité, aurait depuis longtemps péri étouffée sous ses propres déchets.
Jusqu’aux «Trente glorieuses» et l’insouciante légèreté de la société du prêt-à-jeter, l’économie humaine s’en tenait à ce cadre immémorial garant de pérennité. Aujourd’hui le réveil est douloureux, les limites écologiques sont franchies et la facilité des dernières décennies conduit à des impasses majeures. Et en effet, la nécessité de fonctionner autrement est largement reconnue.
Encore faut-il s’entendre sur ce que signifie le terme économie circulaire. Pour les uns, cela doit être une vraie alternative à un extractivisme destructeur et apparemment insensible, malgré des coûts écologiques et énergétiques croissants, à la raréfaction inéluctable des ressources. Pour d’autres, c’est un correctif nécessaire qui permettra au consumérisme ambiant de se poursuivre sans trop d’autres soucis.
Le bon marché se révèle généralement cher payé et les économies d’aujourd’hui sont les coûts de demain
René Longet
Il est vrai que réparer coûte plus cher que jeter, c’est pourquoi on répare si peu; il est vrai que recycler est souvent moins rentable que d’aller chercher dans les entrailles de la Terre des matières vierges, et c’est pourquoi on s’y entête. Il est vrai, enfin, que réemployer semble – encore – moins attractif que d’acheter du neuf et se «débarrasser» du «vieux», tant l’obsolescence a pollué nos esprits.
Mais le bon marché se révèle généralement cher payé et les économies d’aujourd’hui sont les coûts de demain. Il est temps d’intégrer les externalités dans les prix, aujourd’hui gravement faussés, en frappant par des taxes les externalités négatives infligées à autrui et en subventionnant les externalités positives que le marché ne suffit pas à rémunérer.
Ainsi pour les uns, l’économie circulaire signifie perfectionner le recyclage des matières dont sont constitués les déchets, pour les réintroduire au mieux dans le circuit économique. Il faut reconnaître que la marge de progression est importante… Et pour les autres, tout au contraire, il s’agit de concevoir les objets, du plus petit au plus grand, de manière qu’ils soient solides, modulables et facilement réparables.
Ces deux approches aiment à s’opposer. Mais considérant que tout objet, aussi bien conçu et réparable soit-il, finira (le plus tard possible) en déchet, il convient d’en recycler les constituants. Et on se rend alors compte que tout cela doit être fait en même temps: destiner à une nouvelle vie les constituants des objets qui ne peuvent plus servir, mais en amont, les rendre réparables le plus longtemps possible, et plus en amont encore, questionner nos besoins… C’est dans cette cohérence que l’économie circulaire trouve tout son sens et exprime une relation responsable retrouvée avec, d’une part, les objets, d’autre part, la matière.