La pénurie de main-d’œuvre, préoccupation récurrente dans les entreprises, est en passe de devenir un casse-tête. Alors que les difficultés de recrutement concernaient jusqu’ici principalement le personnel qualifié, le problème s’étend aujourd’hui aux métiers demandant un niveau de formation moins élevé. Un sondage réalisé par la Fédération patronale vaudoise auprès de ses membres indique qu’une majorité des employeurs (plus de 66%) éprouvent une difficulté constante ou croissante à recruter.
Cette situation résulte de plusieurs facteurs. La croissance économique, tout d’abord, crée de nombreux nouveaux emplois en Suisse. Selon des chiffres publiés récemment dans la presse, 54% des entreprises (principalement des PME) prévoient d’augmenter leurs effectifs au cours des trois prochains mois. Un second facteur est l’évolution démographique, avec le départ à la retraite de la génération des baby boomers que les nouvelles générations ne suffisent pas à remplacer; le nombre de personnes qui quittent le marché du travail est supérieur à celui des nouveaux arrivants. Enfin, on ne peut pas ignorer le changement d’attitude de notre société vis-à-vis du travail, souvent considéré comme moins important que les loisirs et le temps libre. Le niveau des salaires – et parfois des filets sociaux – permet à un nombre croissant de personnes de ne travailler qu’à temps partiel. Le progrès, nous dit-on, serait que la semaine de quatre jours devienne la norme.
L’immigration est déjà forte à l’heure actuelle et elle pose aussi son lot de problèmes, notamment une pression démographique accrue sur les infrastructures.
Pierre-Gabriel Bieri
Pour aider les entreprises suisses à trouver des travailleurs, le premier réflexe est celui de la main-d’œuvre étrangère. Mais l’immigration est déjà forte à l’heure actuelle et elle pose aussi son lot de problèmes, notamment une pression démographique accrue sur les infrastructures, le logement, les transports. La population déjà installée ne voit pas cela d’un bon œil. Les pays d’émigration, pour leur part, n’apprécient pas de perdre leurs propres travailleurs. La main-d’œuvre étrangère n’offre qu’une solution limitée.
L’autre piste qui vient alors à l’esprit est de mieux mettre à profit les forces de travail présentes en Suisse. Si toute la population adulte, hommes et femmes confondus, occupait des emplois à plein temps, ou si les journées de travail étaient notablement allongées, le problème serait résolu… Mais le travail forcé n’est pas dans nos mœurs; il faut ruser, feinter, inciter; sanctionner un peu ceux qui travaillent trop peu et récompenser fortement ceux qui travaillent beaucoup. Aider aussi les nécessaires reconversions professionnelles. Le succès reste cependant mitigé.
Ces réflexions ne devraient-elles pas calmer les craintes que beaucoup éprouvent face à la robotisation et à l’intelligence artificielle? Il est juste de s’interroger sur les conséquences que ces techniques peuvent avoir à long terme; mais dans l’immédiat, loin de nous mettre tous au chômage, elles vont plutôt nous aider à pallier le manque de main-d’œuvre en offrant aux entreprises une productivité et une rentabilité que nous autres humains peinons désormais à fournir.