La votation du 24 novembre sur les autoroutes promet de diviser les citoyens en deux camps, autour de positions strictement inconciliables: aménager les autoroutes pour tenir compte de leur engorgement par le trafic existant et croissant; refuser cette incitation à circuler en voiture individuelle en la laissant péricliter.
Les arguments des partis sont excellents tous les deux. D’une part, un bouchon autoroutier déverse du trafic sur les routes ordinaires au détriment des villages traversés, augmente la production de gaz à effet de serre, fait perdre du temps aux voyageurs. D’autre part, une autoroute élargie est un aspirateur de nouveau trafic qui va rapidement l’engorger à nouveau et qui promeut le transport en voiture individuelle, gaspilleur d’énergie dans un monde qui en manquera.
Ils ont raison tous les deux, mais dans des optiques différentes, le court et le moyen terme: c’est aujourd’hui que le trafic automobile est engorgé et ne remplit plus sa mission; c’est demain qu’il devrait diminuer, même si le parc automobile est totalement électrifié et décarboné.
Il n’est pas possible de trancher rationnellement entre les deux thèses car nul ne peut prédire ce que sera l’avenir à long terme. Il faut reprendre le débat à la base en élargissant la perspective. Quelle est l’origine de cette malédiction? Pourquoi sommes-nous littéralement contraints de disposer d’une voiture? Pourquoi les transports publics ne suffisent-ils pas?
Tout d’abord parce que la population de la Suisse augmente: de 6.181.000 en 1970 à 8.453.550 habitants en 2021, soit 37% d’augmentation en un demi-siècle. Ensuite à cause de la croissance du pouvoir d’achat, 13% à partir de 2000. Cela entraîne une augmentation de la taille des logements et leur dispersion dans la nature. Enfin, le souhait d’un déplacement confortable du domicile au lieu de destination plutôt que des changements répétés.
Sauf nécessité évidente, personne n’est disposé à renoncer à ses aises, à une vie plus longue et plus plaisante
Jacques Neirynck
Dans l’aménagement actuel du territoire, l’auto devient une nécessité: pour aller au travail, pour faire ses courses dans les supermarchés qui ont remplacé les commerces de proximité, pour conduire les enfants à l’école, pour accéder aux lieux de divertissement. Nous avons élaboré une société et construit un bâti qui sont aux antipodes de ce qu’ils étaient avant la révolution industrielle: à proximité immédiate du domicile le travail, des commerces, des écoles, des bistrots, que l’on atteignait à pied.
De la dispersion de l’habitat, de la disponibilité de facilités techniques, du souhait du confort, la voiture résulte aussi inexorablement que la TV, l’ordinateur, le chauffage central, le frigo. Sauf nécessité évidente, personne n’est disposé à renoncer à ses aises, à une vie plus longue et plus plaisante.
Les partis verts qui plaident une décroissance punitive perdent leur électorat. Les partis populistes qui nient le réchauffement climatique, qui défendent la voiture, qui prônent un égoïsme social et national progressent. On ne peut pas attendre d’un système démocratique qu’il soutienne des décisions éclairées par une assemblée de citoyens manipulés par la publicité et la démagogie.