Le Conseil fédéral maintient son opposition à l’initiative du Centre qui voudrait supprimer le plafonnement des rentes AVS des couples mariés. Il explique que cette limitation des prestations des époux doit être comprise dans un système qui leur est par ailleurs favorable. Il évoque aussi les coûts occasionnés par ce changement, soit près de 4 milliards de francs en 2030, et renonce donc à proposer un contre-projet.
Ce raisonnement est irréprochable sur un plan logique. Les couples mariés bénéficient effectivement d’avantages véritables dans le premier pilier, dont la couverture du conjoint en cas de décès, l’exemption de cotisations pour le conjoint sans activité lucrative et le «splitting» des revenus qui permet généralement d’octroyer des rentes plus élevées à l’époux ayant le moins cotisé que celles qu’il aurait obtenues par un calcul individuel. Par ailleurs, vivre à deux permet des économies d’échelle, dont le partage d’un seul logement, et coûte donc moins cher que la somme de deux ménages de célibataires.
Pour éviter que l’assainissement nécessaire de l’AVS ne devienne plus douloureux encore, il faut prévenir la répétition du scénario 13e rente et considérer un contre-projet
Brenda Duruz-McEvoy
Il est pourtant permis de douter que l’électeur se laisse si facilement convaincre. Le plafonnement de la rente de couple est très largement perçu comme une choquante iniquité. Il y a bien longtemps que la cohabitation n’est plus le privilège des couples mariés et la perception de deux rentes pleines par les couples de concubins froisse les premiers. En outre, la participation croissante des femmes au marché du travail réduit sensiblement l’avantage de l’exemption des cotisations. Lorsque 1,5 rente faisait suite à une activité lucrative, le compte était bon. Maintenant que 1,5 rente font suite à deux activités lucratives, le compte n’y est plus.
D’un point de vue politique, l’initiative du Centre a toutes ses chances devant le peuple. Pour les électeurs plus âgés, le plébiscite de la 13e rente rend vraisemblable un engouement similaire pour ce nouvel objet. Chez les plus jeunes, la double activité des conjoints, donc la double cotisation, laisse présager un accueil plutôt favorable à l’octroi d’une double rente. Enfin, l’effet repoussoir des coûts en milliards est au mieux incertain.
Pour éviter que l’assainissement nécessaire de l’AVS ne devienne plus douloureux encore, il faut prévenir la répétition du scénario 13e rente et considérer un contre-projet. Quelques pistes plus équilibrées et moins coûteuses que l’initiative devraient être étudiées. A ce titre, l’effet combiné du splitting et du déplafonnement doit être mieux compris et encadré.
Des mesures pour préserver l’équilibre intergénérationnel sont aussi souhaitables pour différencier le traitement des nouvelles rentes et des rentes déjà en cours. Le respect de l’équité envers les personnes vivant seules devrait rationnellement nourrir une réflexion sur le plafonnement des rentes de concubins, mais le sens politique exigera sans doute qu’elle soit passée sous silence.