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La liberté économique est-elle une coquille vide?

Un récent arrêt du Tribunal fédéral pose un problème de principe au bon fonctionnement de l’économie de marché. Par Sophie Paschoud

Pas de publicité. Un règlement de la Ville de Vernier, dans le canton de Genève, prévoyant l’interdiction de l’affichage à des fins commerciales visible depuis le domaine public, a été validé par le Tribunal fédéral.
KEYSTONE
Pas de publicité. Un règlement de la Ville de Vernier, dans le canton de Genève, prévoyant l’interdiction de l’affichage à des fins commerciales visible depuis le domaine public, a été validé par le Tribunal fédéral.
Sophie Paschoud
Centre patronal - Juriste
11 juillet 2024, 19h00
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Le Tribunal fédéral (TF) a récemment rendu un arrêt portant sur la validité d’un règlement de la Ville de Vernier, dans le canton de Genève, prévoyant l’interdiction de l’affichage à des fins commerciales visible depuis le domaine public.

Les opposants invoquaient notamment une violation de l’article 94 de la Constitution fédérale (Cst.), qui prohibe, en l’absence de base constitutionnelle, les mesures dites de «politique économique». Cette disposition protège la liberté économique «dans sa dimension systémique ou institutionnelle, en tant que principe fondamental du système économique suisse fondé sur une économie de marché».

Les mesures étatiques qui poursuivent des buts d’ordre public, de politique sociale ou, plus généralement, qui ne visent pas des objectifs économiques ne portent pas atteinte à l’article 94 Cst.

Le TF a en l’occurrence jugé que le règlement ne violait pas l’article 94 Cst., considérant qu’il poursuivait des buts de nature environnementale et sociale, et non des objectifs économiques, à savoir: favoriser la qualité du paysage communal et le cadre de vie des habitants, combattre la pollution visuelle, ainsi qu’accroître le bien-être de la population en lui permettant de se soustraire à une exposition non désirée à la publicité commerciale dans l’espace public et «éviter les conséquences induites/favorisées par cette dernière, à savoir la surconsommation, l’obsolescence programmée et le surendettement».

Pour les pourfendeurs de la «réclame», cette dernière symbolise une économie qu’ils exècrent

Sophie Paschoud

A la lecture de cet arrêt, on constate que, dans son analyse, le TF a passé rapidement sur les objectifs du règlement et ne s’est en particulier pas spécifiquement interrogé sur celui visant la lutte contre la surconsommation et l’obsolescence programmée, le considérant apparemment comme totalement secondaire, peut-être à juste titre... mais peut-être pas.

En effet, les attaques contre la publicité se font toujours plus nombreuses et ne visent plus des produits spécifiques, mais bien le procédé en lui-même. Pour les pourfendeurs de la «réclame», cette dernière symbolise une économie qu’ils exècrent, soit parce qu’ils la considèrent, en tant que telle, comme nuisible à l’environnement, soit parce qu’elle permet à de vils privilégiés d’engranger d’indécents profits, soit les deux. Leur combat relève donc bel et bien de la «politique économique».

Le TF devra se prononcer prochainement sur la validité d’une initiative populaire cantonale vaudoise qui, sous couvert de «protéger la population et l’environnement», prévoit de taxer les personnes morales ou physiques qui engagent des dépenses publicitaires. L’objectif des initiants est de mettre en œuvre un «mécanisme du marché» pour corriger une «inefficience du marché», car «les modes de production et de consommation – ainsi que la publicité qui les pousse – produisent en termes économiques des externalités négatives de grande importance, à savoir des émissions de gaz à effet de serre et des dégradations environnementales, qui ne sont pas intégrées dans le prix des biens et services».

Espérons que, malgré l’imparable argument environnemental, le TF constatera une violation de l’article 94 Cst. (la Cour constitutionnelle du canton de Vaud a laissé la question indécise, considérant que l’initiative devait de toute façon être invalidée pour d’autres motifs). Car si l’objectif d’influer sur le marché, sur les modes de production et sur le prix des biens et services n’est pas considéré comme violant la liberté économique dans sa dimension institutionnelle, autant dire que cette dernière n’est qu’une coquille vide.