Le récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamnant la Suisse pour inaction climatique a créé la stupeur. Quasiment personne ne s’attendait à un tel verdict, pas même, probablement, les avocats qui ont porté l’affaire à Strasbourg, tant le raisonnement juridique est tarabiscoté.
En (très) résumé, la Cour a dénié la qualité de victimes (condition à la qualité pour agir) aux requérantes personnes physiques, membres de l’association Aînées pour le climat Suisse. Elle a en revanche accordé la qualité pour agir à l’association, après un long développement plaidant précisément pour le contraire, parce que, tout de même, le changement climatique revêt une nature particulière, «sujet de préoccupation pour l’humanité entière». Autrement dit, on n’allait pas s’embarrasser de rigueur juridique face à pareil enjeu…
Sur le fond, la Cour a admis l’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui consacre le droit au respect de la vie privée et familiale et dont la teneur est la suivante: «Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (al. 1). Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui (al. 2).»
Le potentiel d’ingérence dans les choix politiques des Etats est quasiment infini
Sophie Paschoud
Comment la Cour a-t-elle pu parvenir, en partant d’une norme dont la lettre consacre une interdiction d’ingérence, à une obligation pour les Etats de prendre des dispositions spécifiques en matière de lutte de contre le réchauffement climatique, au titre desquelles l’adoption d’un «budget carbone»? Même en admettant qu’une interprétation téléologique de l’article 8 CEDH permette d’exiger des mesures positives afin de garantir le respect de la vie privée et familiale, les conclusions de la Cour sont indéfendables. Cette dernière, par le biais d’une interprétation toujours plus extensive, en vient à considérer que tout ce qui est potentiellement susceptible de porter atteinte au «bien-être» et à la «qualité de vie», indépendamment d’un risque identifié, concret et d’une certaine gravité, impose des mesures déterminées dont rien ne permet d’assurer qu’elles sont propres à atteindre l’objectif visé. Ce faisant, elle enfreint deux règles juridiques cardinales: le principe de causalité et le principe de proportionnalité.
A partir de là, on voit bien que le potentiel d’ingérence dans les choix politiques des Etats est quasiment infini, a fortiori à une époque où les individus sont prompts à se plaindre de leur sort et en attendent toujours davantage des autorités dans le domaine de leur «bien-être», non seulement en matière climatique, mais aussi en matière sociale et économique.
La CEDH ne se contente plus – depuis un moment déjà – de veiller au respect de la Convention, mais dit le droit désirable. Ce n’est assurément pas dans cette optique que cette dernière a été ratifiée. En conséquence, la question d’une dénonciation mérite d’être posée. Et la réponse mérite de reposer sur des considérations plus sérieuses que les railleries à l’égard de l’UDC et de son obsession pour les «juges étrangers» ou la sacro-sainte «image de la Suisse».