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La contagion d’un préjugé

L’idée du président du PLR de taxer l’immigration qualifiée en provenance des pays tiers est pour le moins baroque. Par Jacques Neirynck

Contrairement à Thierry Burkart, «les responsables de l’économie refusent [la taxe sur l’immigration pour les travailleurs qualifiés] parce qu’ils connaissent les mérites de l’immigration qualifiée».
KEYSTONE
Contrairement à Thierry Burkart, «les responsables de l’économie refusent [la taxe sur l’immigration pour les travailleurs qualifiés] parce qu’ils connaissent les mérites de l’immigration qualifiée».
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
09 septembre 2024, 15h00
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Le principe «la mauvaise monnaie chasse la bonne», acquis en finances, est transposable dans le domaine des idées, où les mauvaises chassent les bonnes, le mensonge la vérité, le trouble la clarté. Exemple: le Conseil fédéral examine la possibilité d’introduire une taxe sur l’immigration pour les travailleurs qualifiés en provenance de pays tiers à la suggestion du président du PLR, Thierry Burkart, sous le prétexte qu’ils bénéficieraient d’infrastructures payées par les contribuables suisses. Mais les travailleurs non qualifiés, les manœuvres pour les chantiers, les ouvriers agricoles en seraient exemptés parce que les Suisses ne convoitent pas leurs places, ouvertes donc aux immigrants basiques.

Cette idée est pour le moins baroque. Les responsables de l’économie la refusent parce qu’ils connaissent les mérites de l’immigration qualifiée. Le premier, celui de toute immigration, est la démographie suisse. Avec un taux de fécondité à 1,4, soit les deux tiers de celui nécessaire pour assurer le renouvellement de la population, chaque génération diminue d’un tiers. L’immigration est indispensable pour assurer la perpétuité des pensions et le soin d’une population vieillissante.

Cette taxe, qui serait infligée aux employeurs, n’a donc pas d’autre rôle qu’électoraliste

Jacques Neirynck

Le second est l’épargne particulière que l’immigration qualifiée assure. Si un jeune étranger, frais émoulu de sa formation, rejoint notre force de travail, il représente un capital considérable. Ainsi le quart des médecins exerçant en Suisse (environ 39.000) ont été formés à l’étranger. Comme la formation d’un médecin suisse coûte de l’ordre du million, cette immigration qualifiée représente de l’ordre de 10 milliards épargnés pour l’argent public. Un immigrant qualifié signifie donc, non pas un coût supplémentaire, mais une économie considérable dans le budget de la formation. En bonne justice, il faudrait plutôt compenser la perte subie par le pays d’origine.

Du point de vue du PLR, parti de l’économie, cette idée est donc tellement absurde qu’il faut lui attribuer une autre motivation. L’élément déclencheur de ce revirement? L’initiative populaire de l’UDC «Pas de Suisse à 10 millions!» Ce slogan fédère toutes sortes d’électeurs de droite: d’abord les villageois qui redoutent les immigrants alors qu’il n’y en a pas chez eux; ensuite les travailleurs non qualifiés craignant le dumping salarial; enfin les électeurs aux faibles revenus. Tout ce monde représente presque un tiers de l’électorat, celui qui vote traditionnellement à droite où UDC et PLR sont en concurrence.

Cette taxe, qui serait infligée aux employeurs, n’a donc pas d’autre rôle qu’électoraliste. Elle ignorerait le besoin fondamental de la Suisse qui est de recruter à l’étranger les spécialistes dont son économie a besoin et que le pays lui-même ne peut fournir en suffisance. Nous sommes dans la même situation que la Californie par apport au reste des Etats-Unis: une concentration d’industries de pointe ne peut fonctionner qu’en recrutant des talents et des compétences en dehors de son territoire. C’est l’existence de pôles de développement scientifique, technique et économique qui en a toujours dépendu. Freiner cette immigration revient à assécher le réservoir de talents. Ce préjugé brouille la perception de la réalité.