La présence de lobbies dans l’entourage du politique est une constante, à la fois nécessaire pour veiller à des intérêts légitimes, mais parfois démesurée et inadéquate. Elle peut se révéler indispensable au fonctionnement du marché ou au contraire le fausser.
On en a un exemple récent. Dans une enquête publiée mardi passé, Le Monde et Radio France affirment que les services d’Elisabeth Borne, première ministre, et de la présidence française ont laissé Nestlé commercialiser des eaux non conformes à la réglementation.
D’une part, la captation et la distribution d’eau potable par le réseau public constituent un des acquis majeurs des deux siècles passés, qui a définitivement éradiqué des épidémies récurrentes comme celle du choléra. L’espérance de vie en a largement profité.
D’autre part, s’est développé simultanément un commerce des eaux en bouteille autour d’un produit imaginaire: une eau plus pure que pure car filtrée par la nature depuis le sol jusque dans des sources profondes. Mesurée au prix du litre elle peut coûter jusqu’à mille fois plus chère que l’eau de distribution, car il faut financer la bouteille, l’embouteillage, le transport, la commercialisation. Il en est ainsi parce que l’idéologie écologiste dans ses outrances les plus exagérées constitue l’équivalant d’une religion, parfaitement irrationnelle, de la déesse Nature.
L’eau étant incolore, inodore et sans saveur, la publicité peut façonner son âme et c’est là où la magie publicitaire agit le mieux
Jacques Neirynck
«L’eau étant incolore, inodore et sans saveur, la publicité peut façonner son âme et c’est là où la magie publicitaire agit le mieux. Comme toutes ces bouteilles sont les mêmes, l’imaginaire va les charger d’une valeur distincte.» Dixit Jacques Séguéla. On ne peut mieux dire. Le plus célèbre des spots publicitaires de 1999 fut conçu sur l’eau d’Evian (groupe Danone). En filmant des bébés nageurs, en utilisant toutes les ressources de l’imagerie électronique pour démultiplier cette image et créer un véritable ballet, le spot prône l’eau d’Evian, la plus platement insipide des eaux plates.
Le film nous touche au plus profond de notre inconscient, en recréant autour des bébés l’univers aquatique, qui était le leur avant la naissance, et en prolongeant cette référence avec des seniors. Les ballets sont aussi virtuels que le produit, puisqu’ils proviennent d’un traitement des images et que jamais bébés vivants ne participèrent à un tel ballet, mais ils captent l’attention parce que l’image d’un bébé sollicite notre cerveau. Pour remercier de ce moment d’authentique bonheur, le consommateur achètera de l’eau d’Evian. En la buvant, il s’imaginera qu’il rajeunit. Ce qui est faux mais réconfortant.
Cependant, la pollution des terres agricoles atteint un tel degré que l’eau de source en est souvent affectée et qu’il faut, pour la rendre potable, la filtrer, ce qui est à la fois obligatoire et parfaitement pertinent. Mais dès lors l’eau de source cesse d’avoir droit à cette qualification: c’est devenu de l’eau potable (heureusement) comme une autre, ce n’est plus de l’eau minérale, son imaginaire est détruit.
De là vient la tentation du lobby: aller au plus haut de l’exécutif pour obtenir une dérogation et garder l’imaginaire. Mais n’est-ce pas une fonction occulte du pouvoir politique: créer, nourrir et perpétuer l’imaginaire consolateur? Pourquoi ne pas y recourir en économie?