Depuis les temps d’incertitude de la pandémie (et même auparavant dans certains cas), une majorité de pays a jugé bon de maintenir à flot puis de relancer la machine économique à coups d’argent public. Le fameux «quoi qu’il en coûte» n’est pas resté, et de loin, un cas isolé si on se réfère aux différents plans de relance de l’administration Biden (notamment les initiatives «Build Back Better» ou «Inflation Reduction Act» pour un total d’environ 1900 milliards de dollars) et de l’Union européenne (EU Green Deal d’environ 750 milliards d’euros), tandis que l’Asie n’est pas en reste. L’objet de ces plans de relance est, pêle-mêle et dans un défi permanent aux règles fondamentales de l’orthodoxie budgétaire, la transition énergétique, le renouvellement et l’amélioration des infrastructures ou le support à l’industrie domestique.
Ainsi bien des dettes publiques ont allègrement franchi, comme aux Etats-Unis et dans certains Etats européens, le seuil symbolique de 100% du PIB. Dans la foulée de l’atteinte de ces hauteurs himalayennes, le service de la dette a, lui aussi, pris l’ascenseur. La remontée des taux, orchestrée par les banques centrales pour juguler l’inflation post-pandémie, a dès lors rendu la charge d’intérêts extrêmement douloureuse pour certains Etats (4% du PIB ou 20% des recettes de l’Etat fédéral américain).
Un tel niveau de dette est susceptible d’avoir un impact sérieux sur le prix des bons du Trésor
Jean-Blaise Roggen
Au-delà des menaces (soulignées par le Fonds monétaire international, FMI) sur la stabilité financière mondiale (la dette américaine servant de principal collatéral au système bancaire global), les marchés, qui attendent comme le messie le cycle de baisse des taux directeurs (qui devrait selon leurs espérances ponctuer la décélération espérée de l’inflation et un éventuel ralentissement mondial), pourraient être cruellement déçus.
En effet, un tel niveau de dette est susceptible d’avoir un impact sérieux sur le prix des bons du Trésor, car les acheteurs potentiels du marché obligataire pourraient continuer à exiger un taux de rémunération élevé (incluant une confortable prime de risque). Tout cela pourrait même, ultima ratio, conduire à une crise de solvabilité si un retour à la rigueur budgétaire (et/ou tour de vis fiscal) tardait trop.
Et la Suisse, me direz-vous? Contrairement au héros éponyme de son récent vainqueur du concours de l’Eurovision de la chanson, le capitaine Nemo, elle ne navigue pas 20.000 lieues sous les mers mais reste bien à flots! S’élevant à 17,8% du PIB, la dette nette de la Confédération place cette dernière au rang des meilleurs élèves, bien loin des menaces pesant sur les taux des pays précités.
Quant aux cantons, le tableau est encore plus rose puisque certains d’entre eux (comme Vaud par exemple) n’ont même plus de dette… Dans ce dernier cas, c’est bien plutôt à un relâchement fiscal qu’il faudrait procéder. Ils auraient bien tort de laisser passer cette chance unique de revitaliser leur tissu économique.