Nous sommes en plein paradoxe. D’un côté, une science qui se fait de plus en plus unanime et pressante pour nous signaler la fragilisation croissante des bases notre existence. De l’autre, un rejet presque symétrique de l’écologie qui semble avoir passé en peu de temps du stade d’espoir à celui de repoussoir.
Devant l’engouement de ces dernières années pour un «verdissement» des activités économiques, beaucoup d’industries, y compris la finance, ont exploré des possibilités de réduire leur impact écologique. Des investissements importants ont été alloués pour diminuer les émissions de CO2 et les consommations d’énergie, parfois même au prix d’une moindre rentabilité à court terme. L’économie circulaire, les énergies renouvelables, la rénovation énergétique immobilière, les transports publics et la mobilité douce, une alimentation plus saine constituaient des thèmes porteurs où offre et demande convergeaient et montaient en puissance. Mais les temps ont changé et les entreprises ne savent plus à quel saint se vouer.
Deux visions de l’économie
Aux Etats-Unis, une véritable guerre de religion est menée contre la prise en compte par les entreprises d’éléments extra-financier, au nom de la doctrine que leur seule fonction serait de maximiser les mises de fonds des investisseurs, quel qu’en soit le prix écologique et social. Alors qu’en Europe, sur la base d’une tradition d’économie de marché à dimension écologique et sociale, une conception plus large commençait à s’établir, voici que, sous la pression du court-termisme et d’une paresse intellectuelle certaine, le Pacte vert est systématiquement détricoté. Et une fatale incompréhension fait des solutions autant de problèmes.
Or, l’Union européenne avait inscrit en 1987 déjà l’«utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles» dans ses références (traité sur le fonctionnement de l’UE, art. 191). Cette orientation s’est concrétisée notamment à travers la promotion de l’économie circulaire ou l’engagement de réduire d’ici à 2030 de 55% les émissions de gaz à effet de serre et de doubler la part des énergies renouvelables (42,5% contre 23% en 2022).
Le Pacte vert de l’UE en panne
Mais le dispositif de restauration de la nature, pourtant approuvé fin 2022 à la COP 15 de la convention sur la diversité biologique, n’a passé le cap que d’extrême justesse et dans une version édulcorée, le réexamen des substances écotoxiques a été reporté et le plan de réduction des pesticides rejeté. Le «verdissement» de la politique agricole n’a pas résisté à la révolte paysanne de l’hiver dernier. Tout récemment, l’entrée en vigueur du règlement contre la déforestation importée (interdisant l’importation d’huile de palme, de viande de bœuf, de bois, de café, de cacao et de soja issus d’une terre déboisée depuis le 1er janvier 2021) a été retardée d’un an...
Une notion fédératrice et indispensable: la durabilité
L’erreur a clairement été de poursuivre des objectifs écologiques parfaitement justifiés sans mettre simultanément en avant des retombées positives en termes d’emplois, de perspectives économiques et d’améliorations sociales. En ce sens, parler de Pacte vert est non seulement une erreur sémantique mais de raisonnement qui fait qu’on oppose aujourd’hui un pacte vert à un pacte de compétitivité – alors que tous deux sont nécessaires.
Il est temps de se rappeler une notion fondatrice, souvent invoquée mais dont le caractère fédérateur et le véritable sens ont été trop longtemps occultés: la durabilité. Un pacte de durabilité aurait traité ensemble les exigences écologiques et de compétitivité, en vue d’une sortie de crise à travers la promotion d’une triple rentabilité, financière, écologique et sociale. Car seule une économie inscrite dans les capacités de charge des systèmes naturels et dans une claire hiérarchie des besoins a un avenir... durable.
Mon livre Planète état d’urgence, les réponses de la durabilité* est tout entier consacré aux enjeux de la durabilité, humanisme de notre temps. Bonne lecture!
*Editions Savoir suisse, 208 pages, parution fin octobre 2024.