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Bien évaluer le niveau des dépenses publiques

La Confédération ne dépense pas sans compter, contrairement à ce que l’on entend souvent. Par Cédric Tille

«Si la Suisse a connu un problème de croissance excessive des dépenses dans les années 1990, il y a maintenant un quart de siècle que ce n’est plus le cas.»
KEYSTONE
«Si la Suisse a connu un problème de croissance excessive des dépenses dans les années 1990, il y a maintenant un quart de siècle que ce n’est plus le cas.»
Cédric Tille
Graduate Institute Geneva - Professeur d’économie
25 juillet 2024, 15h02
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A l’heure où les Chambres débattent du budget de la Confédération, il est régulièrement rappelé que les dépenses ont augmenté plus rapidement que le PIB depuis 1990. Mais ce constat repose sur l’évolution du début des années 1990, et la situation est stable depuis. Dans ce genre d’analyse, il faut prendre garde aux années considérées comme point de départ. Il est plus rigoureux d’estimer des tendances prenant toutes les données en compte, ce qui montre une situation sous contrôle.

Comparer deux années peut être délicat

Entre 1990 et 2023, les dépenses de la Confédération ont augmenté de 153%, alors que le PIB et la population se sont accrus de 115% et 31% respectivement. A lire ces chiffres, il semble effectivement que la trajectoire des dépenses publiques n’est pas tenable. Qu’elles augmentent plus rapidement que la population n’est pas un problème dans une économie ou le PIB par habitant augmente.

Mais le constat est très sensible au point de départ considéré. Le graphique ci-dessous montre la croissance annuelle moyenne du PIB (barres bleues), des dépenses de la Confédération (barres rouges) et de la population (barres vertes) selon que l’on commence l’analyse en 1990, 1995 ou 2000. Commencer en 1990 montre un dérapage, mais tel n’est pas le cas si nous faisons le calcul depuis 1995, et encore moins depuis 2000.

Bien évaluer le niveau des dépenses publiques

En d’autres termes, le dérapage des dépenses est un problème qui a été résolu durant les années 1990, comme le montre le graphique ci-dessous de l’évolution des dépenses en pourcent du PIB. On constate clairement qu’après une montée durant la première décennie, la ligne fluctue depuis autour d’un niveau stable.

Il faut toujours prendre un chiffre de croissance entre deux années avec précaution. En effet, le calcul des barres ci-dessus repose entièrement sur les valeurs de l’année initiale et celles de la dernière année, et ignore entièrement les chiffres des autres années. En d’autres termes, le calcul sur l’horizon 1990-2024 met 32 chiffres sur 34 à la corbeille!

Bien évaluer le niveau des dépenses publiques

Prendre toute l’information en compte

Deux approches sont possibles pour prendre en compte toute l’information. La première est simplement d’analyser le graphique de l’évolution du ratio de dépenses au PIB dans son ensemble. Le bon vieux coup d’œil critique restant une méthode éprouvée.

La seconde approche, plus formelle, consiste à estimer une tendance au moyen d’un logiciel statistique. Cela permet de voir si une éventuelle tendance est simplement due au hasard, ou au contraire ressort solidement des chiffres. Le tableau ci-dessous présente cette analyse, selon que l’on commence en 1990, 1995 ou 2000. Nous observons clairement des tendances à la hausse du PIB et des dépenses, sans surprise dans une économie en croissance. Nous constatons en outre que les dépenses ont une tendance de croissance plus forte que le PIB, surtout si nous commençons en 1990 (écart de croissance de 0,26 point de pourcentage par an entre PIB et dépenses), la tendance étant nettement plus faible par la suite.

Bien évaluer le niveau des dépenses publiques

Mais surtout, nous pouvons estimer si l’écart de croissance est le reflet du côté aléatoire des fluctuations de dépenses et du PIB, ou si au contraire il montre une vraie tendance. Les deux dernières colonnes du tableau correspondent à cette évaluation.

Comme dans toute analyse économétrique, la valeur estimée de la tendance de croissance est accompagnée d’un indicateur dit «t de Student» auquel est associée la probabilité que la tendance estimée soit simplement le fait de la chance, et non pas d’une vraie tendance. On considère usuellement que la tendance est vraiment là si la probabilité est de 5% ou moins, ce qui correspond à un indicateur de Student d’un peu plus de 2. Le tableau montre clairement que si nous commençons en 1990, la tendance est clairement là. En revanche, décaler le point de départ de 5 ou 10 ans montre que la faible tendance estimée pourrait très bien en fait être nulle.

Un fantôme à chasser

Que conclure de cet exercice? Tout d’abord, il ne faut jamais se contenter de calculer les changements entre une année de départ et une d’arrivée, mais bien de prendre l’ensemble de l’évolution.

Ensuite, si la Suisse a connu un problème de croissance excessive des dépenses dans les années 1990, il y a maintenant un quart de siècle que ce n’est plus le cas. Le fantôme de cette période délicate ne doit pas hanter les discussions actuelles.