La journée du 2 avril 2025 s’annonçait mémorable et Donald Trump a amplement surpassé les attentes en dévoilant les taxes «réciproques» qui frapperaient la plupart des biens importés aux Etats-Unis dès le 5 avril. Loin d’être symbolique ou raisonnable, un taux minimal de 10% est appliqué à tous les pays, à l’exception de quelques pays soumis à des sanctions, ainsi que du Mexique et du Canada qui ont droit à un traitement spécial en tant que parties prenantes au Nafta.
Nullement réciproques, mais fondées sur les déficits bilatéraux observés en 2024, les taxes dévoilées le 2 avril impliquent un changement de paradigme majeur, potentiellement dévastateur si le gouvernement américain ne revient pas rapidement en arrière. Les tarifs à hauteur de 20% ciblant l’Union européenne, 34% pour la Chine ou encore 31% pour la Suisse constituent des entraves massives au commerce international. Les tarifs particulièrement élevés frappant des pays émergents où sont actifs les sous-traitants de nombreuses entreprises américaines illustrent l’absurdité des taxes «réciproques» de Donald Trump.
Ces annonces permettent de rejeter avec un degré de conviction proche de 100% les hypothèses archi-complaisantes au sujet des compétences et de la rationalité de Donald Trump et de son équipe gouvernementale. Les interventions de Scott Bessent et de Howard Lutnick, respectivement secrétaire du Trésor et secrétaire du Commerce, laissent songeurs. Tous deux sont issus de Wall Street, mais ils n’ont manifestement aucune prise sur la «Trumponomics 2.0» qui devait restaurer la grandeur des Etats-Unis.
Même en tablant sur une révision à la baisse des «tarifs», un retour à la case départ semble hautement improbable. Des taxes à hauteur de 10% à 15% font figure de scénario favorable, ce qui explique l’effroi qui s’exprime sur les marchés financiers depuis jeudi. Dans ce contexte explosif, les obligations gouvernementales ont fait valoir leur statut de valeur refuge. Le rendement du T-Note US à 10 ans a cédé près de 30 points de base pour s’établir à proximité de 3,9%. Proche de 3,5%, le rendement du T-Note à 2 ans préfigure des baisses de taux plus généreuses, mais encore assez modestes au regard des risques de récession qui résultent du virage protectionniste entrepris par les Etats-Unis.
Bien qu’assez riche, l’actualité macroéconomique a été complètement occultée par le choc des tarifs. Le redressement de l’embauche observé en mars (228.000 postes créés) et l’augmentation du taux de chômage de 4,1% à 4,2% montrent que l’économie américaine se portait encore raisonnablement bien le mois passé, malgré une dégradation évidente du climat des affaires reflétée par le déclin des indices ISM (49 en mars après 50,3 pour le secteur manufacturier, 50,8 après 53,5 du côté des services). Les enquêtes mettent en lumière des tendances «stagflationnistes» qui devraient s’amplifier, à tel point que la stagnation pourrait déboucher sur une récession sévère si Donald Trump persiste à imposer des taxes aussi prohibitives que celles qui ont été dévoilées le 2 avril.
Ces sombres perspectives placent la Réserve fédérale (Fed) dans une situation très inconfortable. Réduire les taux d’intérêt alors que la stabilité des prix n’a pas été rétablie et que l’inflation est vouée à accélérer semble inapproprié, mais ne pas agir dans les circonstances actuelles semble de plus en plus discutable au regard de la dislocation des marchés financiers, y compris sur un marché du crédit où les primes de risque ont fortement augmenté. Quand bien même la Fed devait céder aux suppliques de Donald Trump et de Wall Street, un assouplissement de la politique monétaire ne constitue pas une réponse suffisante au séisme provoqué par le président des Etats-Unis qui n’a pas retenu les leçons de la dernière augmentation massive des «tarifs» qui avait joué un rôle majeur dans le crash de 1929 et la dépression qui s’en est suivie.