Crise du Covid, guerre en mer Noire, tensions en mer Rouge, canal de Panama asséché… Les bateaux ralentissent, le prix des containers s’envole, les assureurs enchérissent les primes, les banquiers hésitent: denrées, carburants, minéraux précieux ne sont plus livrés. Avec ces crises, le monde redécouvre le rôle des activités de négoce dans le commerce mondial. L’OMC aussi! Ainsi ne suffit-il pas de réduire les droits de douane, fluidifier les procédures, alléger les barrières non-tarifaires.
Encore faut-il que quelqu’un négocie, achète, enlève, stocke, transporte, finance, livre aux distributeurs les matières premières nourrissant le commerce et l’industrie. Ironie du capitalisme, Karl Marx aurait souri à cette trouvaille: sans infrastructure, la superstructure ne peut fonctionner! OMC et négoce sont deux piliers de l’indispensable commerce. Indispensable?
Le négoce des matières premières et le transport maritime, qui en assure 80% du mouvement, relie producteurs et consommateurs, ou leurs industries de transformation.
Car ces matières ne sont pas délocalisables. Les trois premiers producteurs représentent près de 65% de la production agricole, 50% de celle de l’énergie, 70% de l’extraction de minéraux, sur un total d’environ 10,000 milliards de dollars. Or leurs achats sont vitaux pour de nombreux pays: ceux qui sont importateurs nets de leur nourriture, ceux qui ne peuvent atteindre l’auto-suffisance énergétique. Sait-on par exemple que les exportations suisses de café égalent presque celles de la Colombie?
Négoce et transport permettent de concilier les différences géographiques, et les variations temporelles entre les marchés: on consomme plus de gaz en Europe en hiver, on y produit plus de fruits en été. Le commerce permet aussi d’amortir les chocs: après le début de la guerre en Ukraine, plusieurs pays africains ont dû chercher leurs grains loin de la mer Noire; des grèves dans les mines de Zambie ont perturbé le marché du cuivre; la baisse de la demande chinoise durant le COVID a obligé à trouver d’autres débouchés.
Le système commercial multilatéral est tout aussi indispensable, car il garantit une certaine prévisibilité dans l’intégration des marchés mondiaux. Négoce et transport international y sont régis en tant qu’activités de services, couvertes par les engagements d’ouverture de marché de chaque pays au sein de l’OMC.
Le spectre en est très large: logistique (transport, entreposage, distribution), stockage (indispensable à la gestion des variations saisonnières), transformation (raffinage, process industriels), finance (gestion du risque, financement du commerce, assurances). D’autres accords de l’OMC exercent une influence directe sur les conditions dans lesquelles opèrent les négociants.
Dans l’agriculture, où les engagements concernant les tarifs douaniers, les subventions et les régulations sanitaires influencent les prix et conditions d’échange des «commodités». Des dispositions plus techniques encadrent le comportement des Etats en matière de contrôle et passage des biens aux frontières: évaluation en douane, inspections avant expédition, procédures documentaires et de transit couvertes par l’accord de «facilitation du commerce».
A quel avenir se préparent les négociants et le système international qui les régit? On discerne quelques tendances de fond.
Plus d’incertitude politique internationale. Durant la première quinzaine de janvier 2024, la menace Houthi en mer rouge a par exemple réduit de 40% le nombre de cargaisons de blé transitant par le canal de Suez, engendrant de nouvelles craintes chez les pays importateurs. La tendance à la fragmentation géopolitique des flux commerciaux commence à se lire dans les statistiques.
Plus de durabilité
Les préférences des consommateurs, les transformations technologiques et industrielles, les stratégies climatiques des entreprises et des gouvernements, les exigences des citoyens pointent vers un nouveau commerce. Cuivre, nickel, cobalt, lithium jouent déjà un rôle essentiel dans la transition écologique des industries. Equité des prix, égalité des genres, inclusion des populations marginalisées, respect des droits de l’homme s’imposent aux entreprises multinationales comme autant d’enjeux de marchés nouveaux dans la conduite de leurs opérations à l’étranger.
Plus de numérisation
Traçabilité des flux et de l’origine des produits, comptabilité et certification environnementale, efficacité des systèmes de finance et paiement, nouvelles interfaces d’échange avec les administrations gouvernementales dessineront l’ossature du commerce de demain. Sur tous ces fronts l’OMC apporte déjà des réponses cruciales et devra aussi s’adapter.
Par son existence même, l’organisation offre un cadre aidant à maîtriser les conséquences économiques des tensions politique. Son rôle en matière de transparence et surveillance des politiques commerciales aide à nourrir la confiance et l’esprit de coopération. Les engagements de ses membres à maintenir les marchés ouverts ont eu une portée indéniable comme on l’a vu, en réaction aux récentes crises, pour maintenir la circulation des biens sanitaires et alimentaires indispensables aux populations.
Le développement de règles internationales adaptées à l’ère digitale a été entrepris par certains membres. Les négociations concernant le commerce électronique ont avancé sur des thèmes tels que la signature et les contrats électroniques, le commerce «sans-papier», la protection des consommateurs en ligne, la cybersécurité et l’accès aux données gouvernementales.
Plus lente est la maturation de discussions sur la soutenabilité environnementale et la lutte contre le changement climatique, auxquelles l’OMC pourrait pourtant apporter beaucoup: transparence du commerce des minéraux critiques, encadrement des subventions à l’industrie verte, ouverture des marchés aux innovations pro-environnementales, dissémination et transferts de technologies, outils et services de lutte contre la pollution etc.
Négoce et règles internationales sont ainsi les deux faces d’une même médaille: celle qui permet au vieil échange commercial reliant les communautés humaines de s’accomplir encore, aujourd’hui et demain, à l’échelle globale.