Un large « consensus » escomptait un redressement des taux d’intérêt à moyen et long terme en 2021, mais le mouvement observé après deux mois surprend par son ampleur et par sa rapidité. Proche de 0.9 % à fin 2020, le rendement du T-Note US à dix ans a dépassé 1.5 % durant la session du 25 février avant de refluer aux environs de 1.45 %. Ce taux d’intérêt de référence a donc doublé depuis le mois d’octobre et atteint des niveaux qu’une majorité de stratèges n’attendaient pas avant la fin d’année.
La nervosité qui affecte actuellement le marché obligataire n’est pas imputable à la Réserve Fédérale qui ne perd pas une occasion de réaffirmer sa volonté de maintenir un cap monétaire stimulant en poursuivant un programme d’assouplissement quantitatif généreux. Bien que les responsables de la banque centrale se soient montrés prudents, leur passivité face au rebond des taux d’intérêt déroute Wall Street. John Williams, Esther George, James Bullard et Raphael Bostic sont autant de membres du FOMC qui ont exprimé leur sérénité face à l’augmentation des rendements à long terme, qu’ils jugent normale dans une phase de reprise économique.
Le Président Jerome Powell a toutefois réaffirmé dans son « testimony » semestriel aux parlementaires que les deux objectifs d’inflation et de plein emploi étaient encore loin d’être atteints et qu’il faudra du temps avant d’observer des progrès substantiels. La patience de la Fed ne fait donc aucun doute, mais sa volonté de contenir le rebond des taux d’intérêt à moyen et long terme est incertaine, ce qui contribue à attiser la nervosité sur un marché de capitaux qui reste peu attrayant au regard des normes historiques.
Embellie conjoncturelle
L’actualité conjoncturelle est assez souriante. La mise en œuvre du plan de relance adopté en décembre a provoqué un bond de 10 % du revenu des ménages en janvier! Plus modeste, la progression des dépenses s’élève à 2.4 % ce qui implique une forte augmentation du taux d’épargne, en hausse de 13.4 % à 20.1 %, et des perspectives de rattrapage pour la consommation privée. Le reflux des demandes d’indemnités de chômage (730.000 selon le dernier relevé hebdomadaire) et du nombre de bénéficiaires (4.4 millions) laisse entrevoir un renforcement du marché du travail qui devrait être confirmé par le rapport de l’emploi attendu vendredi. La confiance des ménages s’est améliorée en février selon le Conference Board. Les entreprises sondées par Markit et l’ISM font généralement état d’un climat des affaires favorable (indice manufacturier 60.8 en février après 58.7 en janvier).
En matière fiscale, le plan de relance de 1900 milliards de dollars souhaité par l’administration Biden a été approuvé ce week-end par la Chambre des Représentants avant d’être transmis au Sénat où il devrait se heurter à une opposition plus tenace. Même rabotées, ces nouvelles mesures devraient donner une nouvelle impulsion à l’activité au prix d’un endettement accru du gouvernement fédéral, ce qui explique en partie la fébrilité du marché obligataire.
En Europe, le marché des capitaux en euros n’a pas échappé à l’influence des USA. Le rendement du « Bund » allemand à dix ans s’est rapproché de -0.2 %, un niveau qui n’avait plus été observé depuis avril 2020, avant de refluer vers -0.3 %. La prime de risque infligée à l’Italie est stationnaire.
Les développements conjoncturels sont assez réjouissants. L’indice du sentiment économique de la Commission Européenne est passé de 91.5 en janvier à 93.4 en février. En Allemagne, l’indice IFO est reparti à la hausse (92.4 en février après 90.3 en janvier). Bien que le secteur des services soit toujours entravé pour la crise sanitaire, l’activité manufacturière affiche une expansion robuste.
Evolution des taux suisses
En Suisse, la modeste expansion du PIB au 4e trimestre (0.3 % par rapport au T3, 1.6% en glissement annuel) constitue une bonne surprise au regard de la dégradation de la situation sanitaire. Le redressement de l’indicateur avancé du KOF à 102.7 en février (après un repli sévère à 96.5) suggère que l’impact des restrictions sanitaires instaurées en janvier s’est révélé limité. Les taux d’intérêt en francs suisses à moyen et long termes se sont nettement redressés depuis le début de l’année : le rendement des emprunts de la Confédération à dix ans est passé de -0.6% à -0.3%. Ce mouvement, qui semble excessivement rapide, pourrait justifier un rééquilibrage tactique, mais mesuré, au profit des obligations.
Les tensions affectant les taux à long terme ont fragilisé Wall Street et la plupart des places boursières avancées et émergentes, mais les primes de risque de crédit sont restées relativement stables durant la quinzaine écoulée. Le «G-spread» moyen observé dans l’univers global des obligations d’entreprises avoisine toujours 0.9 % pour les emprunts de qualité «Investment Grade» et 3.8 % pour le segment des emprunts «High Yield» affichant des ratings inférieurs à Baa3/BBB-.