De janvier 2023 à juillet 2024, le yen s’est imposé comme la première devise de financement du fait de son taux d’intérêt négatif proche de 0%. La parité dollar contre yen s’est appréciée de 27% sur cette même période, portée par la thématique du «carry trade», opération spéculative qui consiste à emprunter une devise avec un taux d’intérêt faible (yen) en achetant une devise à taux élevé (dollar). Cet effet s’est même vu amplifié avec l’entrée en lice des fonds alternatifs de type «macro» et les investissements non couverts d’épargnants japonais dans le marché américain des actions.
De juillet à septembre, la devise japonaise a repris des couleurs, la parité dollar contre yen corrigeant de -14%. Ce mouvement, initié par de fortes anticipations d’un cycle de baisse des taux aux Etats-Unis et d’une hausse de la part de la Banque du Japon (BoJ) dans sa lutte contre l’inflation, a été accéléré par le débouclement de paris pris par des fonds alternatifs et d’autres investisseurs usant (abusant?) de l’effet de levier.
Qu’en est-il aujourd’hui, alors que le dollar a rebondi de 10% face au yen en six semaines?
Le premier facteur important d’incertitude provient de la sphère politique. Premier ministre depuis début octobre, Shigeru Ishiba a perdu son pari d’obtenir une nette majorité de gouvernement pour rompre avec les récents scandales ayant entaché son parti, le PLD (libéral-démocrate). Les élections anticipées ne lui ont apporté que 191 sièges à la Chambre basse, 215 en comptant ceux de son partenaire le Komeito (centre droit), en dessous de la barre de majorité (233). La stabilité politique qui permettait au yen de jouer un rôle de valeur refuge a disparu, et le processus législatif s’annonce complexe et incertain en l’absence de coalition.
L’environnement économique, couplé au flou politique, joue aussi un rôle clé. La probabilité de mesures populistes (baisse d’impôts, hausse des dépenses publiques) est très élevée, avec à la clé une détérioration de la dette japonaise, mais aussi un probable effet haussier indirect sur les salaires et sur les prix. Là aussi, de quoi fragiliser le yen.
Le facteur américain ne doit pas être négligé non plus. Les marchés ont revu à la baisse leurs anticipations de baisse du taux de la Réserve fédérale (Fed), un scénario appelé à s’amplifier avec la mise en place de nouvelles barrières douanières par l’administration Trump, notamment avec la Chine.
Enfin, si la BoJ, confiante dans sa maîtrise de l’inflation, a laissé son taux inchangé à 0,25% fin octobre, elle semble envisager une hausse de 0,25 point de pourcentage en décembre ou en janvier. Elle risque cependant de devoir revoir sa copie. Les mesures populistes pourraient la gêner dans sa lutte contre l’inflation et nécessiter une action plus rapide voire plus ferme, alors que la situation de l’économie et le gonflement de la dette plaideraient plutôt en faveur d’une pause étendue dans le cycle de hausse des taux.