A tort ou à raison, l’attention des investisseurs est passée des déboires d’Evergrande, le géant de l’immobilier chinois, aux perspectives plus restrictives des grandes banques centrales en un clin d’œil. Les allusions de la presse à une crise des «subprimes» version chinoise ont certes semé le doute, mais n’ont pas eu le temps d’affecter les marchés occidentaux. À l’inverse, la semaine dernière, un pas de plus vers le resserrement monétaire aux Etats-Unis et en Angleterre, ainsi que la hausse du taux directeur norvégien, ont subitement déclenché l’inquiétude puis la réaction des marchés obligataires.
Depuis les réunions des 22 et 23 septembre, les rendements souverains ont vu leur rythme de hausse s’accélérer. Le 10 ans américain a grimpé au-delà de 1,55%, son plus haut niveau depuis 3 mois. Son homologue anglais a franchi la barre de 1% pour la première fois depuis mai 2019 et le Bund s’est traité au-dessus de -0,18%, ce qui ne s’était pas produit depuis fin juin. À 5,3% aux États-Unis, 3,2% au Royaume-Uni et 3% en zone euro, l’inflation annuelle est déjà nettement supérieure aux objectifs des banques centrales. Mais le rebond de la consommation, les perturbations des chaînes d’approvisionnement et surtout la flambée des prix de l’énergie accentuent les anticipations d’inflation.
Les banques centrales tentent de calmer les esprits mais leur tournant plus restrictif a apporté de l’eau au moulin de ceux qui misent sur des rendements plus élevés. Le changement de ton de la Banque d’Angleterre a été le plus percutant. En mettant davantage l’accent sur la hausse de l’inflation que sur la stagnation récente de la croissance, elle a ouvert la porte à une éventuelle hausse des taux d’ici la fin de l’année. Son gouverneur, M. Bailey, a en effet déclaré que le taux directeur pourrait être relevé avant la fin du programme d’achat d’actifs si nécessaire. Ces annonces ont fait bondir le rendement du Gilt à 2 ans qui a atteint 0,45% le 28 septembre, son plus haut niveau depuis février 2020, reflétant la possibilité d’une hausse de taux plus précoce qu’anticipé jusqu’alors. Il n’est donc pas exclu que cette fois-ci, alors que la Fed a généralement mené le cycle de politique monétaire mondial, la Banque d’Angleterre agisse avant son homologue américaine.
Pour conclure, rien n’est figé et selon l’évolution des scénarios, le sentiment des investisseurs pourrait virer dans une direction ou une autre. Certains économistes parlent déjà de stagflation, ce qui compliquerait le processus de normalisation des banques centrales. D’autres citent une erreur de politique monétaire, ce qui ferait sérieusement fluctuer les marchés. Les adeptes du «bear market» obligataire attendent toujours. Leurs prédictions de hausse de l’inflation et des rendements consécutives au soutien sans précédent des banques centrales après la crise financière de 2008 ne se sont pas réalisées. Au contraire, les rendements sont bien plus bas de nos jours. Le temps dira s’ils ont raison cette fois, ou pas.