La politique économique ou la finance sont-elles des sujets à réserver aux seuls experts? C’est bien ce que semble penser le Tribunal fédéral (TF), qui vient de confirmer l’exclusion de L’Agefi de la liste des journaux qui reçoivent l’aide à la distribution de La Poste, contrairement à de nombreux autres médias romands. Au seul motif que le titre ne viserait qu’un lectorat de spécialistes.
Voilà une curieuse lecture du travail des journalistes de L’Agefi. Une négation des efforts produits depuis trois ans pour rendre plus accessible cette matière si importante dans la vie de tout le monde. Qu’il s’agisse d’expliquer les enjeux économiques de la pandémie, les conséquences de la chute de Credit Suisse ou de réfléchir à la nécessaire réforme du système de la santé. Sans parler d’informer celles et ceux qui se renseignent avant une votation, comme la loi climat ou la réforme fiscale de l’OCDE récemment soumises au peuple.
C’est aussi ignorer les nouveaux formats, vidéos en particulier, développés par L’Agefi. Pensez à l’émission hebdomadaire «Be to B», un entretien avec une personnalité de l’économie romande, réalisée avec le groupe MediaOne, ou le fact-checking mensuel, produit en collaboration avec la RTS, destiné aux jeunes actifs. Ces productions contribuent à attirer de nouveaux lecteurs, spécialistes ou non, mais tous également intéressés par l’actualité, les débats publics ainsi qu’une information critique, complète et élaborée.
Le TF reconnaît certes que nous traitons de sujets «actuels» mais «complexes». Bien sûr, de nombreux professionnels se comptent parmi nos lecteurs. Et c’est tant mieux. Mais tous ne sont pas à la fois des spécialistes de la finance, des medtech, de l’inflation, du tourisme ou de la politique.
La décision du TF signifie que le grand public ne devrait pas être exposé à la voix originale, parce que libérale, portée par L'Agefi
Frédéric Lelièvre
Qu’importe, L’Agefi serait trop élitiste pour mériter l’aide à la presse. En d’autres termes, la décision du TF signifie potentiellement deux choses. Premièrement, des sujets aussi importants que la relation économique entre la Suisse et l’Union européenne ou les conséquences financières de la guerre en Ukraine ne sont pas pour le grand public, considéré probablement trop sot pour souhaiter lire des articles approfondis sur ces thèmes. Deuxièmement: une large audience ne devrait pas être exposée à la voix originale, parce que libérale, portée par L’Agefi. La volonté du législateur n’était-elle pourtant pas d’encourager le débat démocratique? Mon-Repos n’en a cure.
Cette affaire démontre donc, s’il le fallait encore, que les aides créent forcément des distorsions. Faut-il les bannir? Il est en tout cas heureux de rappeler qu’une refonte du système est en réflexion, notamment pour corriger les faiblesses de la réglementation actuelle telle qu’interprétée par les autorités compétentes.