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Trois arguments des opposants à la loi climat passés au crible

Les affirmations des détracteurs du texte soumis au peuple le 18 juin sont-elles exactes? Le scénario catastrophe qu'ils décrivent est-il probable? Réponse avec des experts.

Augmenter les capacités des lacs de barrage pour réduire les émissions de CO2 de 70% conduirait à une hausse des coûts de l'énergie de 20%, selon le professeur de l'EPFL Andreas Züttel.
KEYSTONE
Augmenter les capacités des lacs de barrage pour réduire les émissions de CO2 de 70% conduirait à une hausse des coûts de l'énergie de 20%, selon le professeur de l'EPFL Andreas Züttel.
09 juin 2023, 7h00
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L’argumentaire des opposants à la Loi sur la protection du climat mise en votation le 18 juin, qui veut notamment donner un cadre pour atteindre le zéro émissions nettes de CO2 d’ici à 2050, se lit comme un véritable scénario catastrophe.

En voici les trois éléments les plus importants:

1. Des coûts de l'énergie multipliés par trois

Les opposants, qui se trouvent surtout dans les rangs de l’UDC, affirment que les coûts pour l’énergie se multiplieraient par trois, pour atteindre 9600 francs par personne chaque année. L’électricité et l’énergie deviendraient «un luxe pour les riches». De surcroît, le paysage serait recouvert de panneaux photovoltaïques et d’éoliennes, ce qui ne permettrait même pas de garantir l’approvisionnement en électricité en tout temps.

2. Le fossile remplacé par de l'électricité, sans compensation ou transition

Ils suggèrent aussi que cette loi exigerait de remplacer toute la part de 60% que représente actuellement le fossile dans les besoins énergétiques de la Suisse par de l’électricité. Sans aucune possibilité de compensation et sans aucune transition.

3. Des remplacements prématurés de chauffages par des pompes à chaleur

Les propriétaires immobiliers seraient quant à eux incités à remplacer des installations de chauffage à l’énergie fossile encore en état de marche par des pompes à chaleur qui contribuent à l’augmentation des besoins en électricité.

Pour L’Agefi, plusieurs spécialistes de ce dossier analysent en détail ces trois points. Parmi eux, le professeur à l’EPFL Andreas Züttel, dont l’étude a été le plus abondamment citée par les opposants. Le but est d’évaluer la véracité de ces affirmations et la probabilité que le scénario catastrophe se réalise. 

Les coûts d’énergie vont-ils tripler?

Les opposants à la nouvelle loi se réfèrent à l’étude d'Andreas Züttel, Future Swiss Energy Economy de 2022, pour affirmer que les coûts de l’énergie par personne passeront à 9600 francs par habitant par année. Cela a suscité une vive réaction du coprésident de l’alliance Economie suisse pour la loi sur le climat, Christian Petit: «Cette étude simule le coût d’un système énergétique suisse complètement autarcique et coupé de l’Europe... justement pour dénoncer une telle hypothèse qui serait ruineuse pour le pays.»

L’auteur de l’étude nuance lui aussi ce nombre: «La campagne a sélectionné le scénario le plus cher, l’approvisionnement de tout le pays en carburants synthétiques à partir d’électricité verte, plutôt que l’électrification de tout l’approvisionnement en énergie ou une économie basée sur l’hydrogène. Ce n’est pas le chemin que veut emprunter la Suisse.» Il s’attend certes à des hausses de coûts, mais dans des proportions bien plus modestes. «La réduction des émissions actuelles de 70% engendre un renchérissement de l’énergie de 20%, si elle est réalisée par une augmentation des capacités des lacs de barrage. L’élimination des 30% restants sera beaucoup plus coûteuse et aboutirait alors à une hausse totale de 50%», calcule Andreas Züttel.

L’argumentaire de l’UDC contient encore un deuxième montant important: «La transition énergétique prévue par la loi engendrera des coûts de quelque 387 milliards de francs au minimum.» Des investissements qui s’étaleraient sur 30 ans, comme le précise Christian Petit, qui est aussi CEO de Romande Energie, soulignant que «cette somme sera portée par l’ensemble des acteurs de l’économie» et pas seulement par le contribuable. Et de rappeler que la Suisse génère chaque année un PIB de 800 milliards de francs. «Aux Etats-Unis, même des républicains soutiennent des programmes d’investissement pour la transition énergétique qui coûtent des milliards, probablement pour des raisons économiques plutôt qu’écologiques», martèle pour sa part Reto Knutti, climatologue de l'EPFZ, dans une interview au Tagesanzeiger.

Cependant, ce montant ne sera probablement pas dépensé de manière linéaire. Pour Andreas Züttel, la Suisse se trouve actuellement dans une situation comparable à celle d’avant le déploiement de l’hydraulique il y a environ 100 ans: «Aujourd’hui, plus personne ne remet en question sa pertinence. Mais il faut beaucoup d’efforts pour réussir la transition. Qu’elle coûte cher n’est donc pas une idée totalement aberrante. De surcroît, nous devons maintenir une industrie et une économie qui fonctionnent. Le renouvelable ne coûte pas plus cher que d’autres sources d’énergie, mais il nécessite de lourds investissements au début, avant de pouvoir l’exploiter pendant 20 ans.» Christian Petit veut cependant relativiser: «Une grande part de ces investissements sont des dépenses de remplacement qu’il faut de toute façon faire».

Aurons-nous besoin de remplacer le 60% des besoins en énergie?

Les opposants affirment sans cesse qu’il faudra remplacer 60% des sources d’énergie si la nouvelle loi est acceptée et omettent très souvent de préciser qu’il faudrait y arriver d’ici à 2050. Le professeur à l’EPFL Andreas Züttel, dont l’étude est pourtant abondamment citée dans leur argumentaire, décrit une autre réalité: «Le gain en efficience grâce au passage à l’électricité permet d’économiser environ un tiers des besoins. Il ne faudra donc remplacer qu’une part relativement modeste de la consommation actuelle d’énergie fossile.» En se basant sur les chiffres de son étude, la consommation mensuelle moyenne d’énergie par habitant passera de 3,2 kilowatts (kW) à 2,1 kW. Actuellement, 2,02 kW sont issus du fossile et 1,1 kW du renouvelable ainsi que du nucléaire. Il ne faudrait ainsi pas remplacer 60%, mais tout de même quelque 30%.

L’expert partage cependant les inquiétudes en ce qui concerne la sécurité d’approvisionnement. Le négoce d’électricité avec les pays européens représente certes un apport, mais il faut aussi calculer les besoins pour le scénario d’un approvisionnement à 100% autonome. C’est ce que le spécialiste des systèmes de stockage d’énergie a fait dans le cadre de son étude. Andreas Züttel explique ainsi que «si toute l’Europe se convertit aux éoliennes et au photovoltaïque, en hiver, tout le monde a le même problème en même temps. Si nous devons avoir recours à des sources fossiles en hiver pour générer de l’électricité, nous n’avons rien gagné».

Trois arguments des opposants à la loi climat passés au crible

Avant d’encourager la conversion aux pompes à chaleur fonctionnant à l’électricité selon le programme d’impulsion sur dix ans prévu dans le texte soumis, il faudrait garantir leur approvisionnement à partir de sources renouvelables. «Il n’est pas question qu’un propriétaire investisse dans une pompe à chaleur pour grelotter», insiste l’expert. Même avec des installations d’énergies renouvelables d’une puissance supérieure aux pics de consommation, il y a besoin d’installations de stockage couvrant les besoins en électricité sur 2-3 mois, selon les calculs d’Andreas Züttel.

Le spécialiste des questions climatiques Reto Knutti, qui s’est exprimé à plusieurs reprises dans les médias alémaniques, estime quant à lui que la disponibilité suffisante d’électricité ne représente pas un problème sur le plan technique, mais dépend des choix politiques. Selon lui, la nouvelle loi servira de cadre pour accélérer l’augmentation de capacités de production.

Car il ne faudra probablement pas remplacer que les énergies fossiles, une question que le professeur honoraire à l’EPFL Teddy Püttgen a abordé dans nos colonnes en conseillant de conserver les centrales nucléaires de Gösgen et de Leibstadt aussi longtemps que possible. Et le président du PLR Thierry Burkart est devenu encore plus favorable au nucléaire, estimant qu’il est indispensable de construire de nouvelles grandes centrales pour assurer l’approvisionnement en énergie de ruban.

Mais Andreas Züttel est plus réservé: «Il faut laisser tourner les anciennes centrales aussi longtemps qu’il y en a besoin. Mais la technologie traditionnelle de fission nucléaire de l’uranium a plusieurs inconvénients, comme les déchets radioactifs, ou encore le plutonium pouvant être utilisé dans des armes. En revanche, il ne faut pas fermer la porte à des réacteurs qui ne génèrent pas de déchets à longue durée, qui peuvent brûler du thorium, par exemple.»

Même en étant critique à l’égard de la démarche qu’entend imposer la loi, Andreas Züttel insiste: «Le remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables doit être notre objectif. Peu importe que cela soit le cas en 2050 ou en 2060, l’important, c’est de le faire!» Rappelons en outre que selon la loi, l’objectif de zéro émission nette ne comprend pas que la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi la compensation des émissions restantes par des technologies d’émission négative, en Suisse, notamment avec la technologie de la zurichoise Climeworks, et à l’étranger.

Vers des remplacements forcés d’installations de chauffage?

Les propriétaires immobiliers apparaissent particulièrement divisés à l’approche du 18 juin. La Fédération romande immobilière (FRI) s’est prononcée dès février en faveur de la nouvelle loi. La démission du libéral-radical zurichois Ruedi Noser de son équivalent alémanique, le HEV, a pour sa part fait beaucoup de vagues. Partisan de la loi, il s’est offusqué d’une position de l’association qui reprend selon lui l’argumentaire de l’UDC. Cela vaut notamment pour l’affirmation concernant le remplacement prématuré des installations de chauffage.

Pour le secrétaire général de la FRI et conseiller national vaudois Olivier Feller, il n’est pas question de changements forcés: «Le domaine du bâtiment relève de la compétence cantonale, comme le montre l’obligation à des conditions qu’ont introduite certains cantons romands, notamment Genève. Ce que prévoit ici le législateur fédéral, c’est que les propriétaires qui réduisent les émissions reçoivent une aide incitative.»

La Confédération a ainsi tiré les leçons de l’échec devant le peuple de la première version de la loi sur le CO2 il y a tout juste deux ans. «Face à l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050, la Confédération ne peut pas ne rien faire. Le peuple a déjà dit qu’il ne veut pas de contraintes, ni d’interdictions ni de taxes. La nouvelle loi donne un outil incitatif supplémentaire», explique Olivier Feller Le HEV déplore pourtant que l’immobilier se voit imposer «les valeurs limite les plus strictes de tous les secteurs», avec une baisse de 82% d’ici à 2040 par rapport aux émissions de 1990. Et il a déjà réalisé une diminution de 39% jusqu’en 2020. Le secrétaire général de la FRI en convient: «Il y a 10 ans encore, c’est le chauffage des immeubles qui avait émis le plus de CO2. Aujourd’hui, c’est la mobilité.»

Son interprétation diverge toutefois totalement par rapport à l’impact de la nouvelle loi sur les propriétaires. Avec une subvention annuelle de 200 millions de francs versée à ceux qui souhaitent passer d’un chauffage aux carburants fossiles à un chauffage de sources renouvelables, «c’est une loi win-win-win, pour les propriétaires, les locataires et le climat», souligne Olivier Feller. En plus de bénéficier de la subvention, les propriétaires peuvent faire valoir qu’il s’agit d’un investissement à plus-value énergétique, dont la part non soutenue peut ainsi être répercutée sur les loyers. Tandis que les locataires devraient voir leur facture de chauffage diminuer.

Ce n’est pas pour autant que la nouvelle loi devrait stimuler à elle seule une activité de rénovation trop faible par rapport à ce qu’il faudrait pour réussir la transition énergétique. «Le rythme actuel est trop lent. Mais la Loi sur le CO2 en révision comprend des programmes bâtiments, ce qui sera un outil incitatif très utile», relève le secrétaire général de la FRI. Pour aller plus loin, il souhaite également une révision du droit du bail, qui comprend actuellement le risque pour le propriétaire de se retrouver avec des loyers plus bas après avoir effectué des travaux.