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Quel est l’impératif publicitaire?

Des manœuvres ont lieu au Parlement pour rendre la loi moins stricte dans son interdiction de la publicité sur le tabac. Par Jacques Neirynck

«Nous avons entamé une révolution culturelle qui a réduit les fumeurs du tiers au quart de la population.»
KEYSTONE
«Nous avons entamé une révolution culturelle qui a réduit les fumeurs du tiers au quart de la population.»
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
20 février 2024, 15h00
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En février 2022, le peuple et les cantons ont accepté l’initiative populaire «enfants et jeunes sans publicité pour le tabac». En 2022, 6,9% des jeunes âgés de 11 à 15 ans en Suisse ont consommé de la cigarette. La publicité pour le tabac joue un rôle significatif dans la décision de commencer à fumer. Le tabac provoque chaque année 9500 décès prématurés, soit 14% des décès. Sa consommation est à l’origine de traitements médicaux pour 3 milliards de francs par an.

Or des manœuvres ont lieu au parlement pour «assouplir» la loi, comprenez pour la rendre moins stricte dans son interdiction de la publicité. S’il faut protéger les jeunes, cela signifie de fait protéger tout le monde, car une publicité sur l’espace public ou les médias est inévitablement accessible par les jeunes. L’initiative entrave de fait toute publicité et ce fut bien son but.

Le tabagisme a reculé entre 1997 (33%) et 2022 (24%). La part de gros fumeurs a diminué entre 1992 (12%) et 2022 (4%). Le nombre de paquets vendus est en baisse. Les recettes annuelles provenant de l’impôt sur le tabac s’élèvent à près de 2 milliards de francs. Elles servent bizarrement à financer l’AVS.

Il n’y a pas de sens à prélever 2 milliards de taxes pour compenser 3 milliards de dépenses

Jacques Neirynck

Tels sont les faits qui traduisent un compromis entre la liberté du commerce et la santé publique. Cette liberté influe sur les dépenses de l’assurance maladie qui deviennent de plus en plus problématiques. On pourrait donc estimer que dans un pays idéal, la santé passerait évidemment avant le commerce, qu’il ne faudrait pas interdire la vente du tabac, mais au moins empêcher sa promotion. Il n’y a pas de sens à prélever 2 milliards de taxes pour compenser 3 milliards de dépenses et il y a encore moins de sens de ne pas affecter ces recettes à la prévention du tabagisme plutôt que de le verser à l’AVS qui devrait constituer un autre compte, animé par d’autres objectifs.

Car, si l’on se place au point de vue cynique, le tabagisme, coûteux en soins de santé, est néanmoins une source d’économies pour l’AVS puisqu’il diminue l’espérance de vie. Dans l’esprit de quelques législateurs, cette considération est sans doute inconsciente, mais elle influe sur leur attitude. Pour eux, l’être humain, de toute façon destiné à décéder, peut entre-temps jouir de l’existence en la mettant en péril, non seulement par le tabac (9500 décès), mais par la route (241), l’alcoolisme (1553), l’alpinisme (177). A ce championnat des plaisirs périlleux, la cigarette est donc vainqueure toutes catégories.

Nous avons entamé une révolution culturelle qui a réduit les fumeurs du tiers au quart de la population. On ne fume plus ni au restaurant, ni lorsque l’on est invité. Le tabac est encore cultivé sur 398 hectares. En 2003, cette surface était encore de 679 hectares. Les ventes de cigarettes ont diminué de près de 34% ces deux dernières décennies. Il y a donc perte d’emplois pour les agriculteurs, pour les cigarettiers, pour les buralistes, mais est-ce rédhibitoire?

En élargissant la focale au-delà de ce cas particulier, ne faudrait-il pas réfléchir sur la place de toute publicité. Où, quand et comment est-elle soit indispensable, soit nuisible? Quelle est sa légitimité? Quelle peut être la fonction des pouvoirs publics?