Pas forcément. Une réduction du temps de travail peut bénéficier aux employés et employeurs si elle permet d’éviter de travailler lorsque la pénibilité est forte. Le point central n’est pas la pénibilité moyenne du travail sur la semaine, mais le fait qu’elle puisse augmenter fortement avec le nombre de jours passés à la tâche.
Une semaine de cinq jours avec deux secteurs
Pour illustrer le propos, considérons une économie avec deux secteurs, les bureaux et la restauration (le débat sur la semaine de quatre jours portant notamment sur ce dernier). Les figures ci-dessous montrent le salaire quotidien (lignes bleues) et la pénibilité quotidienne (ligne rouge) selon le nombre de jours travaillés.

Dans les bureaux (graphique ci-dessus), la pénibilité est constante durant la semaine: travailler le vendredi n’est pas vraiment plus difficile que travailler le lundi. La ligne rouge est donc horizontale. Nous considérons un salaire quotidien de 200 et une pénibilité équivalente à 80 en termes monétaire, ce qui fait que l’employé retire un bien-être net de 120 par jour. Travailler une semaine de cinq jours dans un bureau donne alors un bien-être net de 600 par semaine, soit la surface entre la ligne bleue et la ligne rouge.

Le graphique ci-dessus montre la situation dans les restaurants. Le point clef est que la pénibilité augmente fortement lors du cinquième jour, car la fatigue des horaires spécifiques à ce métier se fait alors sentir, entraînant son lot de désagrément voire de risque d’accident. Plus précisément, la pénibilité est de 80 pour chacun des quatre premiers jours, puis monte à 260 pour le cinquième, soit une hausse de 180. Le salaire est quant à lui de 236 par jour. Ce chiffre n’est pas pris au hasard, mais correspond au montant nécessaire pour que le bien-être net d’une semaine de cinq jours soit le même dans les deux secteurs (soit 600). Si ce n’était pas le cas, les personnes changeraient de secteur d’activité. Le coût pour l’employeur dans la restauration correspond au salaire versé, soit 1180 (cinq jours à 236).
Passage à la semaine de quatre jours dans un restaurant
Que se passe-t-il si la semaine de travail dans un restaurant passe à quatre jours? Nous devons dans un premier temps calculer le nouveau salaire, puis ensuite le coût hebdomadaire pour l’employeur qui doit embaucher une autre personne pour le cinquième jour.
Comme précédemment, les conditions de travail dans la restauration doivent être telles que le personnel obtienne le même bien-être net qu’il aurait dans un travail de bureau, soit 600 par semaine. Cela implique un salaire quotidien de 230, soit une baisse par rapport à la semaine de cinq jours. Le revenu hebdomadaire diminue encore plus fortement, passant de 1180 (cinq jours à 236) à 920 (quatre jours à 230). Pourquoi le personnel accepterait-il cette baisse de revenu? Simplement parce que s’arrêter après quatre jours lui permet d’éviter la forte pénibilité du cinquième, ce qui au final compense la baisse de revenu.
S'arrêter après quatre jours permet d’éviter la forte pénibilité du cinquième, ce qui au final compense la baisse de revenu
Cédric Tille
L’employeur est aussi gagnant. Pour assurer le service hebdomadaire, il doit avoir du personnel sur chacun des cinq jours. Le coût hebdomadaire est réduit à 1150, grâce à la baisse du salaire. Par conséquent tout le monde est gagnant. Si en outre la réduction du temps de travail permet aux employés d’être plus productifs sur les quatre jours, l’employeur y gagne encore plus.
Si la réduction du temps de travail permet aux employés d’être plus productifs sur les quatre jours, l’employeur y gagne encore plus
Cédric Tille
Il faut raisonner en termes de pénibilité marginale
Une analyse plus générale que cet exemple permet d’identifier la condition à remplir pour que la semaine de quatre jours soit bénéfique. Il faut que l’écart entre le salaire de bureau (Sal Bur, 200 dans notre exemple) et la pénibilité de bureau (PénBur, 80 dans notre cas), ajusté par le nombre différent de jours travaillés dans les deux secteurs, soit plus faible que le surcroît de pénibilité du cinquième jour dans la restauration (ExtraRest, 180 dans notre illustration):
(5/4) × (Sal Bur - PénBur) < Extra Rest
Ceci montre que la notion pertinente de pénibilité dans la restauration n’est pas la pénibilité moyenne durant les quatre premiers jours, laquelle n’apparaît pas dans l’équation, mais le surcroît de pénibilité du dernier jour, ce que les économistes appellent la pénibilité marginale. Réduire la semaine permet d’éviter les situations de forte pénibilité, ce qui est au final un choix efficient.
L’exemple considéré est bien entendu très simplifié. Il permet néanmoins d’identifier la bonne question à poser dans la discussion de passer d’une semaine de cinq à quatre jours : est-ce que la pénibilité quotidienne du travail dans le secteur augmente fortement au-delà d’un certain seuil de jours travaillés?
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