«I did it my way»… Le refrain bien connu de Frank Sinatra résonne souvent lorsqu’il s’agit de faire son propre bilan. Avec un peu de défiance, mais de manière autodéterminée, celui ou celle qui a fait son chemin ne regarde pas en arrière avec colère. Cela aurait pu être la chanson des institutions financières suisses. Elles auraient pu décider elles-mêmes de la manière de renaturer leurs flux financiers afin d’atteindre l’objectif légal de zéro émission nette.
C’était précisément le but de ma motion «Rendre les flux financiers plus compatibles avec les objectifs fixés par l’Accord de Paris». A savoir, laisser le secteur financier déterminer lui-même, dans une large mesure, la manière dont il envisage d’atteindre l’objectif. La Confédération n’interviendrait que si les établissements s’écartaient de la trajectoire visée. Cette approche, typiquement suisse et libérale, a été approuvée par le Conseil fédéral.
Cependant, bien que le secteur ait fait savoir à plusieurs reprises qu’il souhaitait devenir le premier de la classe en matière de services financiers durables, l’Association suisse des banquiers (ASB) s’est opposée à ce projet. Son lobbying a permis de trouver une majorité au Conseil national qui rejette la motion.
Le secteur financier local est coresponsable de 14 à 18 fois les émissions totales de CO2 de la Suisse. Les flux financiers sont donc le plus grand levier climatique de la Suisse
Gerhard Andrey
De mon point de vue, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus classique. En effet, il n’y a pas de retour en arrière possible par rapport à l’objectif de l’Accord de Paris. L’été dernier, les électeurs suisses ont clairement approuvé la loi sur le climat et l’innovation. Elle nous oblige à réduire notre utilisation des ressources fossiles et à atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. Selon cette loi, le Conseil fédéral doit explicitement veiller à ce que le secteur financier apporte sa contribution. Ce n’est pas un hasard, car selon un rapport de McKinsey, du WWF et d’Economiesuisse, le secteur financier local est coresponsable de 14 à 18 fois les émissions totales de CO2 de la Suisse. Les flux financiers sont donc le plus grand levier climatique de la Suisse.
Ce refus aura pour seule conséquence que le prochain virage vers le chemin de la vertu sera sans doute décrété. Par exemple, l’initiative sur la place financière, soutenue par plusieurs partis et associations, sera probablement lancée dans les mois à venir. Si cette initiative ou un contre-projet efficace obtient un jour une majorité politique, la réorientation de la place financière passera par la voie législative. Il restera alors peu de marge de manœuvre pour choisir sa propre voie. La bande-son pourrait alors être donnée par Nancy Sinatra: «These boots are made for walkin'…»