L’initiative «pour une économie responsable dans les limites de la planète» (initiative pour la responsabilité environnementale) a été largement rejetée le mois dernier par la population et les cantons suisses. Le non l’a emporté à 69,8%, selon les résultats définitifs. Le taux de participation s’est élevé à 37,9%.
Il s’agit d’un sujet sur lequel il ne subsiste pas la moindre incertitude: nous épuisons les ressources de la planète plus vite qu’elle ne les génère, nous le savons, nous en subissons les conséquences (inondations, sécheresses, tempêtes). Mais nous savons aussi que pour enrayer cette dégradation, il faudrait moins consommer, c’est-à-dire concrètement réduire le pouvoir d’achat, revenir aux jours antérieurs où la majorité des consommateurs étaient obligés de se restreindre. Jamais un tel défi ne sera accepté par les électeurs lors d’une votation.
De bonnes finances engendrent de la bonne politique et vice-versa. Plaider pour la décroissance revient à subvertir la politique
Jacques Neirynck
On se trouve donc dans une situation où il aurait fallu rationnellement accepter l’initiative et où politiquement on ne le pouvait pas: une impasse caractéristique de la démocratie directe. Le peuple vote dans le sens de ses intérêts immédiats, les seuls qu’il perçoit, auxquels il abandonne une vue à long terme qu’il ne possède pas. Un sondage récent décèle du reste la raison de cet immobilisme: 70% des sondés estiment qu’il est trop tard pour protéger l’environnement.
Or le processus de dégradation ne va pas s’arrêter pour autant. Arrivera le moment où la planète ne pourra plus fournir une pléthore de biens. La pénurie s’imposera et l’équilibre reviendra, contraint et forcé au prix de privations et de souffrance bien plus lourdes que si l’on avait agi à temps. Seul peut le décider un exécutif fort, libre d’agir rationnellement en cas d’urgence. En revanche un régime où le peuple souverain est possesseur des décisions importantes ne le fera pas.
Ainsi la démocratie n’est pas le meilleur des régimes (ou même le pire de tous si l’on oublie tous les autres, selon Winston Churchill). La démocratie est un luxe réservé aux sociétés d’abondance. C’est bien pourquoi il n’y en a guère en Afrique par exemple: les structures parlementaires mises en place par les anciens pays colonisateurs n’ont pas résisté aux coups d’Etats, à la corruption, au tribalisme et à la misère.
On est plutôt habitué à la causalité inverse: le bien-être économique est un des fruits de la démocratie parlementaire. Il apparaît donc que les deux sont liés dans une boucle de réaction, positive ou négative selon le sens parcouru: un peu de bien-être suscite un peu de démocratie qui encourage le progrès de l’économie ou bien à l’inverse la montée de la misère jette les électeurs dans le recours à la dictature. Certains pays, ceux de la Scandinavie, la Suisse, réussissent un cercle vertueux; d’autres comme l’Allemagne jadis, la Russie aujourd’hui, ne peuvent résister à un cercle vicieux.
On doit en tirer une leçon: de bonnes finances engendrent de la bonne politique et vice-versa. Plaider pour la décroissance revient à subvertir la politique. Le caractère cassant et dogmatique de l’écologisme politique suscite son refus à une large majorité. Une vertu outrancière se déconsidère.