Les organes étatiques (gouvernements, parlements) ont aussi, comme leurs administrés, leurs petits travers comportementaux. Au nombre de ceux-là, il y a une asymétrie comportementale qui vient souvent perturber la gestion des finances publiques: alors que l’Etat devrait réduire les déficits ou baisser les impôts quand l’économie va bien, il préfère trop souvent la douce inertie du statu quo.
Lors d’un retournement conjoncturel, les recettes fiscales baissent immanquablement alors qu’elles seraient d’autant plus nécessaires comme stabilisateurs conjoncturels, voire (pour les plus keynésiens) comme outil de relance. Dès lors on considère traditionnellement que les politiques budgétaires doivent concilier stabilisation de l’économie et discipline budgétaire, autrement dit amortir les fluctuations du PIB lorsque l’économie est en récession et s’efforcer de réduire la dette, de gagner des marges budgétaires ou de réduire la pression fiscale quand la conjoncture le permet.
Lorsqu’un Etat choisit de mener une politique budgétaire expansionniste pendant les périodes favorables, cela conduit soit à une détérioration des comptes
Jean-Blaise Roggen
On pourrait dès lors s’attendre à ce que, en période économiquement favorable et jusqu’au sommet du cycle, nos autorités s’efforcent avec résolution et détermination de réduire la dette, de générer des excédents, voire de baisser les impôts pour rendre aux contribuables un peu de cette manne dont l’Etat les a privés. Hélas le plus souvent il n’en est rien. Bien au contraire même puisque l’exubérance budgétaire et la fièvre d’investissements gagnent bien trop souvent les autorités politiques, qui profitent de la bonne santé de l’économie et de la bonne tenue des recettes fiscales pour gonfler davantage les voiles de l’enveloppe budgétaire. La somme de ces occasions manquées a des conséquences fortement dommageables pour la collectivité comme pour les citoyens qui la composent.
En effet, lorsqu’un Etat choisit de mener une politique budgétaire expansionniste pendant les périodes favorables, cela conduit soit à une détérioration des comptes, soit (s’il existe des marges budgétaires) à une pression fiscale injustifiée. Le corollaire est que cette collectivité publique sera contrainte de conduire une politique budgétaire restrictive pendant les périodes défavorables, car le niveau de sa dette sera trop élevé.
De plus ces contraintes budgétaires risquent même de péjorer encore la situation économique, car les contribuables devront fournir un effort fiscal similaire alors que leur situation se sera dégradée. Pour les Etats dont les finances sont saines et qui ne réduisent pas leur pression fiscale quand le cycle le permet, l’occasion d’enclencher le cercle vertueux de Laffer (les recettes fiscales augmentent parallèlement à la baisse d’impôts) est perdue. Quant aux contribuables, ils n’ont aucun répit fiscal même quand les circonstances économiques le permettraient et peuvent se sentir, à bon droit, floués.
Hélas le constat est sans appel: bien peu de collectivités publiques mènent une vraie politique budgétaire anticyclique et la plupart préfèrent l’inertie quand l’opportunité s’offre à elles de se donner des marges budgétaires ou de soulager leurs contribuables. Saluons donc comme il se doit la proposition de baisse d’impôt du gouvernement genevois acceptée récemment dans les urnes par les citoyens de ce canton. Souhaitons également que cette votation ait un certain écho au-delà des frontières du canton de Genève.