«Pas de Suisse à 10 millions!» proclament les tenants de cette initiative qui entendent mettre un couvercle sur le nombre d’habitants de notre pays. Il est probable que nous voterons sur ce texte fin 2026. Il est donc encore temps de se pencher sur ce que signifierait sa mise en œuvre.
Petit rappel des chiffres: la Suisse a dépassé la barre des 9 millions d’habitants l’année passée. Avec un taux d’enfants par femme de 1,39 – bien loin des 2,1 requis pour renouveler naturellement la population –, la Suisse souffre de dénatalité, comme l’ensemble de l’Europe. Il est dès lors évident que l’accroissement de la démographie n’est pas le fait des naissances, mais celui de l’immigration.
L’initiative veut empêcher la venue d’étrangers en Suisse et envisage, pour y arriver, la fin des accords bilatéraux avec l’Union européenne (UE), au premier rang desquels celui sur la libre circulation des personnes. En vertu de la bien nommée clause guillotine, si cet accord bilatéral tombe, tous les autres tombent aussi.
La population suisse ne croîtrait donc plus, elle diminuerait au contraire rapidement au vu du déficit de naissances. Cela entraînerait mécaniquement des problèmes de prise en charge des coûts économiques et sociaux liés à une population déséquilibrée entre les retraités – de plus en plus nombreux – et les actifs – de moins en moins nombreux, avec un poids certain sur les assurances sociales et, partant, sur les entreprises. Ces dernières pourront choisir de partir ou de rester, ce qui n’est pas le cas des prestations sociales, qui devront être prises en charge quoi qu’il en coûte.
Le garde-fou du système Dublin est tombé pour la Grande-Bretagne et c’est ce qui attend la Suisse si l’initiative est acceptée.
Véronique Kämpfen
Au-delà de cette vision peu réjouissante de la société se pose une question centrale: l’objectif de la baisse de l’immigration serait-il atteint en votant cette initiative? Au vu des effets du Brexit sur l’immigration en Grande-Bretagne, on peut en douter. La lutte contre la libre circulation y a été l’un des arguments phare pendant la campagne sur cet objet et il a fait mouche. Cinq ans après cette décision, le flux de migrants en provenance de l’UE s’est en effet tari. En revanche, le nombre de migrants venant de pays plus lointains (Nigeria, Inde, Pakistan, Philippines) a explosé. En 2023, trois ans après le Brexit, il y avait 900.000 migrants de plus en Grande-Bretagne que dans l’année précédant ce changement.
Les promesses des tenants du divorce n’étaient que mensonges. Les demandeurs d’asile qui reçoivent une réponse négative dans l’UE peuvent désormais faire une autre demande en Grande-Bretagne, sans risque d’être renvoyés dans le premier pays européen où la demande a été déposée comme le prévoit le système Dublin. Ce garde-fou est tombé pour la Grande-Bretagne et c’est ce qui attend la Suisse si l’initiative est acceptée.
D’un point de vue économique, c’est après le Brexit que les Britanniques se sont rendu compte que les entreprises n’avaient plus assez de main-d’œuvre qualifiée dans leur propre pays. Une augmentation – largement inexpliquée – de maladies psychiques et des effets indésirables du système social ont notamment pour conséquence que 20% des actifs ne travaillent pas.
Ce sombre tableau, s’il ne peut pas être transposé tel quel à la Suisse, montre une réalité qu’il ne faut pas cacher: faire cavalier seul est difficile et n’est pas sans lourdes conséquences.