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Pédagogie de la stabilité

Berne a durement négocié avec Bruxelles pour anticiper la réaction de l'extrême droite dont le fonds de commerce est d’instrumentaliser la peur de l’immigration.

«La Suisse est un radeau stable sur un océan politique international déchaîné.»
KEYSTONE
«La Suisse est un radeau stable sur un océan politique international déchaîné.»
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
14 janvier 2025, 15h00
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Il n’est pas besoin de faire de la réclame pour la stabilité quel que soit le domaine. Une France incapable de soutenir un gouvernement durable, une Belgique traditionnellement sans gouvernement du tout, des Etats-Unis présidés par un égotiste inculte et délirant, la résurgence d’un parti nazi en Allemagne, des conflits un peu partout, le réchauffement climatique: on aimerait bien s’en sortir.

La Suisse est un radeau stable sur cet océan déchaîné: un taux de chômage à 2,4%, une inflation sous les 2%, une dette publique à 33% du PIB, diminuée d’un excédent budgétaire annuel de 0,8%, une croissance du PIB proche de 1%, une balance des échanges à 8%. Quand tous les indicateurs sont au vert, des explications malveillantes surgissent. La prospérité helvétique ne serait que l’envers d’une vaste entreprise de blanchiment d’argent. Ce ne serait pas une vertu mais un vice bien dissimulé.

La raison en est bien différente: les institutions politiques fonctionnent bien parce que personne ne peut ponctionner le pouvoir: c’est une acratie où le souverain ultime est le peuple qui peut faire et défaire tout ce que l’exécutif et le législatif entreprendraient à tort. Il est impossible de désigner le responsable unique de quelque décision que ce soit. Personne ne se trompe puisque personne ne décide. Expliquer ce système à un étranger est une tâche irréalisable. Il est intimement convaincu qu’une sorte de monarchie républicaine vaut mieux que le pouvoir pour le peuple. Il croit qu’un membre de l’élite en sait plus que le prolétaire coutumier.

Il faudrait se demander non pas ce que l’UE peut nous apporter, mais plutôt ce que nous lui apporterions

Jacques Neirynck

La Suisse est donc un exemple que l’on ne suit pas et qui devrait s’exporter mieux. Les discussions récentes entre l’Union européenne et Berne semblent aboutir à une forme d’entente, durement gagnée par la marotte migratoire de cette dernière. Or la prospérité helvétique dépend d’une immigration indispensable: d’une part, un taux de fécondité au deux tiers de celui du renouvellement des générations implique un strict minimum d’immigration à 40.000 par an; d’autre part, une économie de pointe ne peut prospérer que par le drainage des talents de tout le continent. 40% de la population résidante permanente de 15 ans ou plus est issue de la migration. Ce taux dépasse 65% dans le canton de Genève. Il n’y a aucun autre pays qui soit à ce point ouvert et dépendant de cet afflux, tout en se gendarmant contre sa nécessité.

Bien entendu il existe un parti d’extrême droite dont le fonds de commerce est d’instrumentaliser la peur de cette immigration. Il y aura une consultation populaire sur l’accord avec les Vingt-Sept. C’est pour cela que les négociateurs suisses à Bruxelles se sont révélés aussi intransigeants: pas en fonction d’une réalité mais pour anticiper un fantasme acratique.

Même si le gouvernement par le peuple n’est pas une panacée, il constitue une solution pragmatique avec des effets économiques positifs. Le modèle vaudrait la peine d’être exporté. Il faudrait se demander non pas ce que l’UE peut nous apporter, mais plutôt ce que nous lui apporterions. La population est malheureusement encore bien loin de cet esprit missionnaire en politique. Et pourtant, même un pays stable pourrait bénéficier d’un monde plus stable.