Même si ce sentiment est parfois le simple écho des éclats du tonitruant et fantasque locataire de la Maison-Blanche, il s’insinue progressivement avec le parfum entêtant d’une petite musique: le multilatéralisme serait entré dans une phase de déclin, poussé dehors par le retour de la politique de puissance et le «chacun pour soi» où primeraient les intérêts de chacun au détriment assumé du destin de tous.
Sur un plan commercial et fiscal, les exemples abondent de ces initiatives individuelles que prennent certains Etats qui viennent annihiler les efforts longs et fastidieux pour arriver à un consensus international. Sans entrer dans le rocambolesque feuilleton des droits de douane américains, la quasi-paralysie du mécanisme de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou le retrait unilatéral des Etats-Unis du second pilier du projet GloBE de l’OCDE (impôt minimal de 15% des sociétés) en sont des exemples éloquents.
Après tout, rétorquera-t-on, quel mal y a-t-il à cela? Un Etat souverain décide librement de ce qui est avantageux pour lui et n’a pas à «sauter comme un cabri» à l’évocation des qualificatifs d’international ou de multilatéral. Peut-être, mais ces deux derniers termes ne relèvent pas vraiment de la posture, bien au contraire.
En effet, c’est l’intérêt individuel bien compris des Etats au sortir de la Deuxième Guerre mondiale qui, dans la foulée des accords de Bretton Woods, allait créer l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le GATT (puis l’OMC) pour relancer l’économie mondiale par le multilatéralisme et le libre-échange. Le constat était simple; les politiques douanières unilatérales et les restrictions d’accès aux marchés des années 1930, au sortir de la Grande Dépression, s’étaient soldées par un fiasco qu’il ne fallait pas répéter après la guerre.
Le multilatéralisme permet d’intégrer les petits pays exportateurs comme le nôtre aux mécanismes de décision et de règlement des différends
Jean-Blaise Roggen
Pardonnez d’avance les lapalissades économiques qui vont suivre, mais cette petite piqûre de rappel n’est pas inutile pour comprendre le raisonnement des dirigeants d’alors: le libre-échange élargit le choix des consommateurs qui ont accès à une plus large gamme de produits; il entraîne une concurrence accrue qui amène une baisse des prix favorisant par là le pouvoir d’achat, souci constant de nos concitoyens; il amène une spécialisation des pays dans les secteurs où ils sont les plus efficients et les plus concurrentiels (avantage comparatif).
Enfin le libre-échange aboutit à des économies d’échelle car la production de larges volumes en réduit mécaniquement les coûts. En un mot comme en cent, l’économie n’est pas un solide qu’on enferme dans une armoire avec une étiquette de tarification douanière. C’est bien au contraire un faisceau de courants fluides (biens, services, personnes, flux financiers) qui irrigue et fertilise les sociétés qu’il traverse.
Enfin, pour revenir au multilatéralisme, celui-ci a un avantage décisif pour les petits pays exportateurs comme le nôtre: il permet de les intégrer aux mécanismes de décision et de règlement des différends. Cala vaut sans doute bien mieux que d’être exposé sans garde-fou aux foucades de quelques grands pays laissés à eux-mêmes.