Giovanna Di Marzo Serugendo est professeure d’informatique à l’Université de Genève. En 1999, elle recevait son doctorat de l’EPFL et menait des recherches en intelligence artificielle (IA) distribuée (systèmes multi-agents). Ce sujet était à l’époque largement en avance sur son temps alors qu’aujourd’hui il fait les gros titres de l’actualité. Depuis, elle travaille toujours sur des travaux à la croisée des chemins de l’IA distribuée et de l’IA sémantique pour l’urbanisme ou l’énergie.
Recherche agentique et applications grand public?
En discutant avec elle, trois raisons peuvent expliquer ce décalage entre découverte et application de l'IA: 1-la recherche scientifique est par principe en avance sur son temps; 2- l’époque on ne disposait pas de puissance de calcul comme les processeurs GPU de Nvidia; 3-les «Big Data» faisaient défaut car il n’y avait pas d’accès aux quantités invraisemblables de données qu’offre l’Internet d’aujourd’hui. Ces deux derniers facteurs ont été décisifs à la naissance de ChatGPT qui a ouvert l’IA au grand nombre.
On peut dire qu’aujourd’hui: «tout le monde à l’IA au bout des doigts». Ce n’était évidemment pas le cas il y a 25 ans.
Ensuite, dans l’histoire de l’IA, il y a eu plusieurs moments où celle-ci ne semblait plus progresser comme pendant la période post 1980 pour les systèmes experts. La science est faite de moment fort, de pause et de reprise. C’est une chose complexe mais très vivante.
Mais c’est quoi un agent IA?
C'est un logiciel autonome qui peut interagir avec son environnement, collecter des données et les utiliser pour effectuer des tâches afin d’atteindre des objectifs prédéterminés. Les humains fixent ses objectifs et l’agent IA effectue sa mission en choisissant indépendamment les meilleures actions à effectuer pour atteindre ces derniers.
Parfois ces agent peuvent aussi être plusieurs à coopérer ou à se coordonner pour atteindre une tâche complexe. Prenons l’exemple de celui d’un centre d’appels qui souhaite résoudre les requêtes des clients. L’agent posera automatiquement différentes questions au client, recherchera des informations dans des documents internes et répondra en proposant une solution. Sur la base des réponses des clients, il détermine s’il peut résoudre lui-même la requête ou la transmettre à un humain.
Quelle est la prochaine étape?
La recherche en IA agentique ouvre de nouveaux et nombreux champs allant de l’économie au social en passant par la connaissance scientifique et les arts. Aucune activité humaine ne semble lui échapper. C’est comme une immense réécriture du monde. N’oublions pas que l’on donne à des machines la capacité de décision. C’est une forme d’autonomie encore jamais expérimentée à cette échelle.
Prenons un exemple pour les entreprises: les ERP (Enterprise Resource Planing) et CRM (Customer Relationship Management) vont être remplacés par des agents qui interagiront entre eux en échangeant des données et des prises de décision. Le «Workflow» des entreprises va être revu de fond en comble. Pour la recherche fondamentale et l’innovation, les changements seront tout aussi brutaux. Des agents en «background» vont travailler rapidement et sans cesse dans toutes les tâches imaginables.
Un monde nouveau émerge. Ne faudrait-il pas prendre le temps pour le penser?