La fiscalité est devenue un thème prédominant de la politique vaudoise. Le canton figure parmi les plus gourmands de Suisse, héritage des années 1990 où il avait fallu redresser les finances de l’Etat. Une fois le redressement achevé, la gourmandise est restée et, durant une quinzaine d’années, l’abondance des recettes fiscales a permis au canton de réaliser des bénéfices atteignant en moyenne plus de 500 millions de francs par an.
Ces bénéfices ont cependant été peu visibles, car ils étaient notamment réaffectés à des préfinancements d’investissements futurs. Cette pratique, permettant de camoufler une réalité opulente en affichant des résultats très modestes, est tolérée par les normes comptables choisies par l’Etat de Vaud, mais elle a tout de même été qualifiée de «créativité comptable lunaire» par des députés genevois qui s’y sont intéressés récemment.
Pour qui savait lire les bilans, la richesse du canton était bel et bien perceptible. Et si les personnes morales ont pu en profiter à l’occasion de certains allègements, les personnes physiques, elles, ont continué de supporter une charge fiscale inutilement lourde.
L’explosion des dépenses de l’Etat vient à point nommé pour donner l’image trompeuse d’un canton pris à la gorge
Pierre-Gabriel Bieri
Ce rappel pose le décor du débat actuel. Les organisations économiques vaudoises ont largement fait aboutir leur initiative «Baisse d’impôts pour tous», qui demande une diminution de 12% de l’impôt cantonal sur le revenu et la fortune; l’impact attendu devrait plus ou moins correspondre aux bénéfices que l’Etat avait pris l’habitude d’engranger.
Le gouvernement à majorité bourgeoise est conscient qu’il doit accorder une baisse d’impôts, mais il espère que celle-ci reste la plus faible possible; la promesse actuelle est de 7% sur l’imposition du revenu, rien sur l’imposition de la fortune.
L’explosion des dépenses de l’Etat vient à point nommé pour donner l’image trompeuse d’un canton pris à la gorge – alors même que les recettes fiscales restent plus abondantes que jamais. Les milieux bourgeois sont déchirés entre leur désir de plaire à leurs électeurs et la crainte de déplaire à leurs ministres. La gauche occulte les bénéfices réalisés par l’Etat et entretient la peur de coupes budgétaires.
L’initiative populaire, déposée il y a presque deux ans, doit maintenant être soumise au peuple. Mais un coup de théâtre (ou une manœuvre dilatoire?) est survenu au mois de décembre: appelé à voter une correction des règles du bouclier fiscal (qui fixe une limite aux taxations les plus lourdes afin d’empêcher qu’elles soient confiscatoires), le Grand Conseil a décidé que cette correction, probablement nécessaire d’un point de vue constitutionnel, ne s’appliquerait que si le peuple refuse l’initiative «Baisse d’impôts pour tous» (qui n’a aucun rapport avec le bouclier fiscal). Cette tentative inédite d’influencer un futur scrutin populaire a fait l’objet d’un recours devant la Cour constitutionnelle.
En attendant que celle-ci se prononce, le vote populaire ne peut pas avoir lieu et la situation fâcheuse des contribuables vaudois se prolonge.